Note de Cambodge-Contact
Dans l'esprit des khmers le Juge-Lièvre est le prototype
du bon juge, intègre et juste.
Il est lièvre par ce que de
telles qualités n'existent pas chez les humains et qu'on ne
peut pas se moquer directement des fonctionnaires sans risquer de
gros malheurs.
Les contes faisant intervenir le Juge-Lièvre démontre qu'il peut
exister une justice non corrompue : Le Juge-Lièvre rend la justice qu'il
ait reçu ou qu'il n'ait pas reçu de pot-de-vin...
Ce conte fait intervenir deux juges-fonctionnaires qui vont se trouver ridiculisés par la sagesse du Juge-Lièvre.
Le Juge Lièvre fit citer le plaignant et l'autre partie
au tribunal pour le lendemain matin.
Le lendemain, vers la troisième heure du jour (neuf heures
du matin), les deux parties se trouvaient au tribunal avec les
deux juges auxquels le défendeur avait fait des présents.
Seul le Juge Lièvre manquait, mais, comme on l'attendait,
il arriva.
Texte intégral :
Deux amis, s'étant entendus, allèrent un matin tendre
des pièges dans la brousse. L'un monta au sommet d'un
arbre et posa un piège à prendre les oiseaux; l'autre
déposa son piège au pied même de l'arbre.
Cela fait et bien fait, ils s'en allèrent de compagnie
et rentrèrent chacun chez lui.
Dans l'après-midi, celui qui avait posé un piège
à oiseau vint, sans prévenir son camarade, voir si
du gibier s'était fait prendre. Il trouva qu'un oiseau
avait été pris au lacet du piège posé
par lui au sommet de l'arbre, et qu'un cerf avait été
étranglé par le noeud coulant que son ami avait
déposé au pied de l'arbre.
Il détacha le cerf et, l'ayant mis sur son dos, le monta
au sommet de l'arbre et le mit à son propre lacet comme
s'il y avait été pris naturellement et redescendant
l'oiseau, il le plaça dans le piège de son ami.
Ceci fait et bien fait, il rentra chez lui, attendant, comme il
avait été convenu, que son ami vint le chercher
pour aller de compagnie visiter les deux pièges.
L'ami vint, et tous deux allèrent dans la brousse. Arrivés
au pied de l'arbre, celui qui avait posé son piège
au sommet monta détacha le cerf qui s'y trouvait, redescendit
et, chargé de sa prise qu'il plaça sur son cou,
les pattes en avant, s'en alla chez lui.
L'autre, très surpris de voir qu'un cerf se trouvait dans
un piège à oiseau, tendu au sommet d'un arbre, et
de trouver un oiseau dans un piège tendu à ras
le sol, dans l'herbe, réclama, cria et, finalement, alla
porter plainte aux juges.
Pendant qu'il s'en allait conter son affaire au Juge Lièvre,
son ancien ami, rentré chez lui, détachait les deux
cuissots du cerf et les plaçait chacun dans un plateau.
Cela fait et bien fait, suivi de sa femme , il s'en alla aux maisons
de deux juges que son ami n'avait point vus, et fit à
chacun d'eux présent d'un morceau de cerf qui lui était
destiné, en prenant bien soin d'offrir le plus beau morceau
au premier juge.
Le chef du tribunal lui dit " Eh ! Sauphéa Tonsaï
(Juge Lièvre), d'où vient que vous êtes ainsi
en retard ?"
Le Juge Lièvre répondit : " Je suis en retard
parce que je me suis intéressé à voir des
poissons Kranh qui montaient sur un arbre Krasang et qui en mangeaient
les fleurs. Le fait est assez extraordinaire pour
que, le voyant, je me suis arrêté un moment pour
le voir."
Un des juges demanda d'un air méprisant : " Vous
avez donc eu, Juge Lièvre, des ancêtres qui ont vu
des poissons monter dans les arbres et en manger les fleurs ?"
Le Juge Lièvre répondit : " Et vous, ô
juge intelligent, dont l'esprit est subtil, avez vous eu beaucoup
d'aïeux qui aient vu un cerf s'aller faire prendre à
un piège tendu au sommet d'un arbre?"
On rit beaucoup de la réponse du Juge Lièvre et
de la malice avec laquelle il avait procédé pour
amener le juge à poser une question qui lui permit de la faire.
Et la sentence fut équitablement rendue dans ce procès
de cerf pris à un piège posé au sommet d'un
arbre.
A ce moment, un de ceux qui étaient là, posa cette
question au conteur: " Le Juge Lièvre n'avait donc pas reçu
de présent !"
Le conteur répondit : " Le Juge Lièvre avait
reçu du plaignant l'oiseau qu'il avait trouvé dans
son piège à prendre les cerfs."