Le début du Protectorat : 1863 - 1923

REMARQUES de 1918 D'UN MEDECIN DE BROUSSE SUR CETTE EPOQUE.


En 1900, les hasards de sa carrière coloniale ont jeté le Docteur PANNETIER, médecin de campagne, au Cambodge dont il a parcouru les campagnes pendant seize ans. ...
En 1918 il résume, dans ses "Notes Cambodgiennes", les observations qu'il a faites au cours de cette longue carrière.

Citations et extraits :

"En somme, depuis un demi-siècle, on peut dire que notre action au Cambodge n'a pas beaucoup modifié l'ancien état des choses, en dehors de quelques voies de communication, de remblais et embellissements à la ville royale et dans nos Résidences, et de quelques bienfaits médicaux... Nous lui avons surtout apporté la paix, la paix extérieure."

"Sous une apparence d'ordre règne l'antique anarchie et, sous notre couvert, s'est perpétué, s'est modernisé à la fois, le régime de plus odieux abus."

"Notre politique fut essentiellement et étroitement fiscale et consistait finalement à couper l'arbre pour avoir le fruit."

"Il existe une cloison étanche, un mur, entre l'habitant et le Représentant de la France."

"L'instabilité de nos représentants est à la base de nos errements. On peut imaginer la force qu'aurait eu un Résident Supérieur nommé pour dix ans, gardant jusqu'au bout la responsabilité entière et personnelle de sa charge. Au lieu de cela, le Cambodge fut pour tous nos fonctionnaires un passage qu'il fallait gérer sans vagues ni initiatives, "en écartant toute difficulté pour esquiver toute responsabilité. La Carrière l'exigeait !"

"Le Cambodge, avec le Laos, fut pendant longtemps le "dépotoir" des cadres de l'Indochine."

"Depuis les années 1898 le Ministre du Palais tient le pays entre ses mains . Seul permanent dans l'impermanence des Résidents Supérieurs, il a su se maintenir au pouvoir malgré quelques graves vicissitudes, et sa puissance est allée en grandissant à mesure que celle du Roi, sous notre influence, diminuait. Ancien interpréte, imposé d'abord à Norodom pour les commodités de notre Protectorat, cet intermédiaire a vu sa fortune s'accroître dans des proportions qu'il n'aurait jamais osé lui même concevoir."

"Notre ministre Cambodgien appuie sa souverainneté sur:
1- notre propre instabilité administrative (14 Résidents Supérieurs en 18 ans)
2- sur notre politique du "pas d'affaires, pas de vagues"
3- sur l'étanchéité croissante entre administrateurs français et administrés indigènes
Et il a su se rendre indispensable aux administrateurs superficiels et instables que nous sommes. C'est bien lui le Maître.
Sur l'Amiral-Ponty, au retour de France, il commit l'adultère sacrilège avec la favorite su roi Sisowath. Cela valait la mort sans jugement. A la demande de notre Représentant, il s'en tira avec de simples excuses. "

"Notre emploi constant de l'intermédiaire annamite dans nos rapports avec l'habitant fut le plus grand malheur du Cambodge"

"A l'insu de la haute administration française, les fléaux traditionnels du Cambodge, piratage, obstruction, chantage et parasitisme de l'administration et concussion, perdurent et prospèrent : L'administration indigène, parasite destructeur maniant l'arbitraire et les tracasseries, s'enrichit en pratiquant le chantage au préjudice de l'habitant; Le piratage des populations, l'incendie volontaire de leurs maisons, l'insécurité des biens et des personnes avec la complicité active de cette administration sont devenus action quotidienne : les crimes restent impunis, les voleurs trouvent protection partout."

"Nos semblants d'innovation non seulement n'ont pas abouti à mettre de l'ordre mais ont contribué à augmenter le trouble dans l'esprit des populations . L'ancienne justice défendait un certain ordre institutionnel : le droit du plus fort. Elle avait des moyens d'actions réels encore que barbares..... Notre Justice est inadaptée au pays, inefficace, impuissante, irréelle, déconcertante... Avec les plus honnêtes intentions elle est toute en faveur des coquins contre les braves gens... Notre manie assimilatrice fait surtout le jeu des chenapans."

"Privé de son ancienne justice, que la nôtre ne saurait remplacer, l'élément honnête et laborieux est ainsi paralysé, laissé sans protection et sans défense à la merci des plus effrontés, des moins scrupuleux. Et c'est là une des situations les plus graves dans ce pays."