(adaptation française tirée des annexes du livre de Bernard HAMEL, "Sihanouk et le drame cambodgien".)
Référence à la Constitution de 1947
Le 18 mars 1970, le Parlement cambodgien (Assemblée nationale et Conseil du Royaume réunis en Congrès) avait décidé à l'unanimité la destitution de Norodom Sihanouk des charges de Chef de l'Etat. Bien que cette décision unanime du Parlement khmer ait été prise en toute conformité avec les dispositions constitutionnelles, Norodom Sihanouk continue toujours à induire en erreur l'opinion internationale en prétendant que les membres actuels du Parlement ne sont pas les authentiques élus du peuple khmer, que sa destitution n'est pas légale, que les motifs invoqués ne sont pas fondés et enfin que M. Chéng Héng, notre Chef d'État actuel, ne possède aucune qualité légale exigée par la Constitution.
Le Parlement cambodgien, réuni le 3 septembre 1970 à
9 heures, estime devoir faire la présente déclaration
pour éclairer l'opinion publique internationale sur :
- la représentativité démocratique des actuels
membres de l'Assemblée Nationale,
- les circonstances qui ont amené Sihanouk aux fonctions
de Chef d'État, ainsi que celles qui ont provoqué
sa destitution.
- la légalité de la désignation de M. Chéng
Héng aux fonctions actuelles de Chef de l'État.
1. DE LA 6° LEGISLATURE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Les membres actuels de la 6' législature de l'Assemblée
Nationale ont reçu du peuple un suffrage universel et direct
lors des élections générales du 11 septembre
1966 où, conformément aux règles de la démocratie,
ils ont affronté plusieurs candidats dans leurs circonscriptions
respectives, contrairement aux précédentes législatures
où Sihanouk, en sa qualité de Président du
Sangkum, avait imposé pour chaque circonscription électorale
un candidat de son choix, ne permettant aucun autre concurrent.
Cette authentique représentation n'est contestée
par personne et Norodom Sihanouk, en tant que Chef de l'État
à l'époque, avait reconnu lui-même et proclamé
solennellement ce caractère lors de l'ouverture de la première
année de la législature, le 18 octobre 1966, en
ces termes :
" Mes premiers mots, avait déclaré Sihanouk,
seront pour vous adresser à toutes et à tous mes
sincères et très chaleureuses félicitations.
Vous êtes les authentiques élus du peuple khmer et
non plus, comme vos prédécesseurs les candidats
désignés par notre Sangkum et approuvés par
la majorité des électeurs. Il est donc incontestable
que la signification de votre mandat s'en trouve renforcée
par l'entière liberté de choix qui fut laissée
à nos compatriotes.
" Je félicite également le corps électoral
pour la maturité politique dont il vient de donner la preuve
en participant dans le calme et la discipline civique au dernier
scrutin. Notre pays peut légitimement être fier".
Ces propres paroles de Norodom Sihanouk, prononcées solennellement devant l'Assemblée Nationale, le 18 octobre 1966, constituent donc un irréfutable témoignage qui dément d'une façon péremptoire les affirmations actuelles de Norodom Sihanouk prétendant que les membres actuels de l'Assemblée nationale, qui ont voté sa destitution ne possèdent aucune qualité de représentants démocratiques du peuple khmer.
II. DES CIRCONSTANCES QUI ONT AMENÉ NORODOM SIHANOUK AUX FONCTIONS DE CHEF D'ÉTAT
Après le décès de S.M. Suramarit, le 2 avril
1960, le Trône était resté vacant malgré
l'obligation de désigner un nouveau souverain dans les
trois jours qui suivent l'événement, obligation
édictée dans les dispositions de
l'article 30 de
la Constitution. L'impossibilité de procéder à
cette désignation était le fait de Sihanouk qui,
après
son abdication en 1955 en faveur de son père, continuait
toujours à accaparer les pouvoirs de Roi même pendant
le règne de ce dernier. Ayant fait serment de ne plus remonter
sur le Trône, Sihanouk, qui voulait toujours conserver les
pouvoirs de Roi, avait alors tout mis en oeuvre pour rendre impossible
la désignation par le Conseil de la Couronne d'un nouveau
souverain. Dans ce but, en attendant une occasion propice à
la suite des circonstances qu'il va provoquer, un Conseil de Régence
fut mis en place.
Malheureusement, le fonctionnement de ce Conseil de Régence
fut défectueux. D'autre part, divers événements
survinrent tant sur le plan intérieur que sur le plan extérieur.
A l'extérieur, l'opinion publique internationale critiquait
vivement la dictature de Sihanouk.
A l'intérieur, la vacance du Trône suscitait de nouveaux
prétendants parmi les membres de la Famille Royale, plus
particulièrement parmi les propres enfants de Sihanouk
issus de mères différentes. Plusieurs personnalités
khmères du régime avaient alors essayé, mais
en vain, de mettre fin à la crise suivant leur propre conception.
En mai 1960, une manifestation populaire avait eu lieu à
Battambang pour demander la désignation au Trône
de S.M. Kossomak, mère de Sihanouk. Or le but de cette
manifestation était en contradiction avec le plan de Sihanouk.
qui, aveuglé par sa passion pour son épouse Monique,
était en train de chercher un moyen pour se délier
de son serment afin de pouvoir remonter sur le Trône.
Alors, même si son geste était dirigé contre
sa propre mère, Sihanouk avait désavoué les
habitants de Battambang et le Gouverneur de la province fut limogé.
La recherche par Sihanouk des moyens pour pouvoir continuer à
garder tous les pouvoirs devenait alors chaque jour de plus en
plus visible. C'est ainsi qu'il n'avait pas hésité
à déclarer ouvertement, le 9 juin 1960 lors de l'inauguration
d'un camp de la Jeunesse Socialiste Royale Khmère à
Kèp, qu'il accepterait d'être le Chef de l'État
si le peuple le lui demandait. Précisons pour mémoire,
entre parenthèses, qu'avant cette date du 9 juin 1960,
personne n'aurait osé employer le vocable " Chef d'Etat
" sans risque d'être accusé de crime de haute
trahison.
Après cette invite directe de Sihanouk, ses fidèles
provoquèrent alors, le 11 juin 1960, une manifestation
à Phnom-Penh, devant le siège de l'Assemblée
nationale pour demander à Sihanouk d'assumer les charges
de Chef de l'Etat. Malheureusement, aucune disposition n'avait
été prévue à ce sujet dans la Constitution
de 1947.
Pour pouvoir donc la tourner, Sihanouk adressa le 12 juin 1960
un message pour forcer toutes les institutions étatiques
à modifier en sa faveur la Constitution. Voici ce qu'il
avait déclaré : "Les corps constitués,
notre armée, notre jeunesse et tout notre peuple ont bien
voulu me demander d'assumer les fonctions et les responsabilités
de Chef de l'État khmer. Il appartiendra maintenant au
Conseil de Régence, représentant le Trône,
au Conseil de la Couronne, gardien de la Monarchie, et à
l'Assemblée Nationale, émanation du peuple, de donner
à ces motions la suite qu'elles jugent nécessaire.
"
Il est à souligner qu'à l'époque, la pression
morale exercée par Sihanouk sur toutes les institutions
étatiques était extrêmement forte, le Conseil
de régence lui-même ne fut guère épargné,
comme en fait foi le paragraphe suivant du même message
: "En troisième lieu, la position même de Son
Altesse Royale le Président, et de Leurs Excellences les
Membres du Conseil de Régence qui, dans un message adressé
au Gouvernement Royal, ont nettement précisé qu'ils
n'étaient pas candidats à ce Conseil mais en "
service commandé " de par leur désignation
par le Prince Sihanouk, qu'ils souhaitaient une solution rapide
et définitive du problème royal qui leur permettrait
d'être libérés au plus tôt de leurs
obligations. "
A la suite des pressions exercées par Sihanouk, 47 députés
de la 4° législature proposèrent alors la révision
de la Constitution de 1947 par l'introduction de dispositions
spéciales, objet de l'article 122, conçues en ces
termes :
Article 122. - Dans le cas où les circonstances ne permettraient
pas de désigner ni le nouveau Souverain, ni le Conseil
de Régence conformément aux dispositions des articles
30 et 30-bis de la présente Constitution, les deux Chambres
réunies sur la convocation du Président de l'Assemblée
Nationale et sous sa présidence peuvent, conformément
à la volonté exprimée par le peuple, confier
les pouvoirs et prérogatives de Chef d'État à
une personnalité incontestée expressément
désignée par les suffrages de la Nation.
Avant d'assumer ses pouvoirs, le Chef d'Etat prête devant
l'Assemblée Nationale le serment prévu à
l'article 32 de la Constitution en y ajoutant " et d'être
fidèle au Trône"".
Si le Chef d'État s'absente momentanément du Cambodge
ou se trouve dans l'impossibilité momentanée d'exercer
ses pouvoirs, il confie ceux-ci au Président de l'Assemblée
Nationale qui les exercera sous sa propre responsabilité.
"
Il est intéressant de souligner également que cette
proposition de révision fut adoptée par l'Assemblée
Nationale et le Conseil du Royaume au cours d'une même journée,
le 13 juin 1960, et la Loi fut promulguée le 14 juin 1960.
En application des dispositions de cet article 122 nouveau, l'Assemblée
nationale et le Conseil du Royaume se réunirent pour la
forme le 17 juin 1960 pour confier les pouvoirs de Chef d'État
à Sihanouk.
La prestation de serment du nouveau Chef de l'État
devant l'Assemblée nationale eut lieu le 20 juin 1960.
Telles sont les véritables circonstances qui ont amené
Sihanouk au pouvoir. Son affirmation selon laquelle les pouvoirs
de Chef d'État lui ont été confiés
par le peuple, après un référendum, est des
plus mensongères.
III-. DES CIRCONSTANCES DE LA DESTITUTION DE NORODOM SIHANOUK
Les membres des deux Assemblées, l'Assemblée nationale et le Conseil du Royaume, qui ont pour mission de faire respecter la Constitution et de défendre les intérêts de l'État et du Peuple, étaient résolus à accomplir courageusement leur devoir allant jusqu'à décider la destitution de Sihanouk.
Cette destitution fut prononcée en toute légalité
constitutionnelle et en ayant comme fondement essentiel son article
122.
En effet, comme il est cité plus haut, cet article a défini
sans équivoque le mandat du Chef de l'État, mandat
qui ne revêt absolument aucun caractère permanent.
L'interprétation extensive d'un mandat perpétuel
relève de la pure imagination de Sihanouk qui rêvait
toujours de garder les pouvoirs de Roi.
Le caractère provisoire du mandat du Chef de l'État
est tacitement spécifié, dans l'article 122, par
cette phrase " Dans le cas où les circonstances ne
permettraient pas de désigner ni le nouveau souverain,
ni le Conseil de Régence...", ainsi que par celle-ci
"... Les deux Chambres... peuvent... confier les pouvoirs
et prérogatives de Chef d'État à une personne
incontestée expressément désignée
par les suffrages de la Nation. "
D'autre part, toujours dans le même article 122, le Chef
d'État doit prêter, devant l'Assemblée nationale,
le serment d'observer la Constitution et les Lois du Royaume et
de se dévouer au bien de l'État et du peuple et
d'être fidèle au Trône.
Ainsi donc, à la lumière de ce qui précède
la durée du mandat du Chef d'état n'a jamais été
prévue pour toute la vie du mandataire. Ce mandat prenait
fin automatiquement :
- à la désignation d'un nouveau Roi ou d'un Conseil
de Régence,
- à la suite d'une destitution prononcée par le
Parlement, - lorsque le Chef d'État est contesté
par le peuple, ou lorsqu'il n'a pas respecté la Constitution
et les Lois du Royaume, ou lorsqu'il trahit les intérêts
de l'État et du peuple.
Quant à la procédure, le Parlement n'a fait que
respecter le grand principe de parallélisme des formes
pour destituer Sihanouk des charges de Chef d'État.
Les fautes de Sihanouk relevées par le Parlement sont principalement
les suivantes :
IV - DE LA LEGALITEDE LA DESIGNATION DE M. CHENG HENG COMME CHEF D'ÉTAT
M Chéng Héng, en sa qualité de Président
de l'Assemblée Nationale, devient automatiquement Chef
d'État en vertu des dispositions de l'article 122 de la
Constitution pour le cas où le Chef d'État s'absente
momentanément du Cambodge et dans le cas prévu par
l'article 34 lorsqu'il y a vacance du Trône.
M. Chéng Héng, exerçant les pouvoirs de Chef
d'État, est le représentant authentique du peuple
khmer du fait qu'il est, d'une part un député élu
par le peuple au suffrage universel et direct et d'autre part
qu'il est Président de l'Assemblée Nationale élu
à une large majorité par des députés
qui sont les représentants de la Nation cambodgienne toute
entière.
Quant à Sihanouk, il n'a jamais eu la légitimité
de M. Chéng Héng car à aucun moment le peuple
ne l'a élu au suffrage universel et direct ou choisi comme
Chef d'État par référendum. Par ailleurs,
après son abdication, le 2 mars 1955, Sihanouk n'était
plus qu'un simple membre de la Famille royale et il ne possède
donc aucune qualité de représentant du peuple cambodgien.
Ainsi la position actuelle de M. Chéng Héng est
parfaitement en conformité avec la légalité
constitutionnelle.
Quant à la destitution de Sihanouk, elle fut également
prononcée dans la légalité. En effet, les
manifestations des 8, 11 et 16 mars 1970 qui demandaient la condamnation
de celui qui avait autorisé les communistes nord-vietnamiens
et Vietcong à installer leurs bases militaires sur notre
territoire annulaient celles du 11 juin 1960 qui avaient porté
Sihanouk aux fonctions de Chef d'État.
La réunion du Parlement le 18 mars 1970 pour destituer
Sihanouk annule également celle du 17 juin 1960 où
le Parlement avait décidé de confier les pouvoirs
de Chef d'État à Sihanouk.
En terminant, l'Assemblée nationale a le devoir de préciser
qu'en vertu des dispositions de l'article 119 de la Constitution,
le droit d'interprétation des textes constitutionnels appartient
en dernier ressort à l'Assemblée Nationale. Toute
interprétation faite par quiconque ou tout autre organisme
n'est jamais valable aux yeux de la Loi.
Enfin, si l'on parle du Gouvernement, seul le Gouvernement de
Sauvetage possède la légalité constitutionnelle
et la reconnaissance officielle de l'organisation des Nations
Unies.
Fait à Phnom-Penh, le 4 septembre 1970
Le Président du Sénat : Ong SIM
Le Président de l'Assemblée : IN TAM