La langue khmère

Jérôme ROUER, nombreux emprunts aux études du père François PONCHAUD.
VERSION......1/9/1996, février,août 1997

Pour entendre des sons khmers cliquez ici , pour voir un clavier informatique khmer cliquez ici .

Les centres SYFED.REFER de Phnom Penh ont créés et mettent à disposition des lexiques scientifiques (mathématiques, biologie, physique, électricité, chimie)


Avertissement :

Au contact des Romains, le Gaulois abandonna sa langue car elle était impropre à l'écrit.
Le Khmer, adoptant la civilisation indienne, maintint sa langue parlée et lui accola une représentation écrite d'origine indienne, mais réputée d'origine divine tout comme les hiéroglyphes.
Cet écrit est fait d'un harmonieux mais laborieux assemblage de courbes, de volutes et d'accents partants dans tous les sens. En outre, ces signes à valeur plus phonétiques qu'alphabétiques sont reliés entre eux sans aucun espace intercalaire entre les mots... (bonjour mise en page et justification sur traitement de textes !)

Il est à noter que, parallèlement à la langue populaire, survit une langue noble, totalement incompréhensible au commun des mortels. Elle est encore en usage au Palais Royal et était obligatoire il y a encore peu d'années pour s'adresser au roi et aux dignitaires civils et religieux.

C'est un euphémisme de dire que cette langue n'est pas fixée (la dernière évolution, importante, date des Khmers rouges) et que, dans son état actuel, elle ne correspond pas aux exigences du monde moderne (les textes actuels traitant de sujets administratifs, scientifiques ou politiques sont aussi difficiles à lire qu'à écrire, ont un caractère nettement jargonneux et mènent immanquablement à des contresens !)
Tous les pays avoisinants ont, depuis longtemps, simplifié et structuré leur langue... Les Français avaient tenté une romanisation. Parfaitement acceptée au Vietnam, elle provoqua un tel tollé au Cambodge qu'elle fut vite abandonnée... Puis le Cambodge amorça un effort de structuration de la langue, malheureusement sans lendemain, dans les années 1960.

Le premier et unique dictionnaire, commencé en 1938, date des années 1960.
Pour véhiculer avec précision des concepts administratifs, philosophiques ou scientifiques en langue khmère il convient de posséder un solide fond sémantique de sanscrit et de pâli. Il ne reste qu'une poignée de Cambodgiens maîtrisant ce minimum culturel...

Il n'existe pas deux termes dont les représentations en français et en khmer soient identiques, et à fortiori deux phrases, qui soient traduisibles mot à mot.
Il est donc essentiel pour l'étudiant cambodgien d'être au moins bilingue, si ce n'est trilingue.
Le plan d'action pour l'enseignement supérieur, élaboré en 1977, fixe comme première priorité de créer un "Institut de la langue khmère".


Le khmer, seule langue officielle du royaume du Cambodge, est issu de la grande et très ancienne famille des langues "Môn-Khmer", famille encore représentée par plus de 90 langages et dialectes répartis sur une vaste zone géographique allant de la Birmanie au Vietnam.

Exemple de vieux khmer

Très tôt, la langue originelle dite " Vieux Khmer " a intégré du vocabulaire sanscrit (3ème siècle) puis pâli (15éme siècle). Le langage parlé actuel intègre de nombreux mots français.

Le sanscrit ou sanskrit est une langue du groupe indo-aryen, qui survit comme langue littéraire et langue sacrée du brahmanisme. Le sanscrit est considéré comme la plus belle et la plus riche des langues qu'ait inventée l'esprit humain ( "Plus parfaite que le grec, plus riche que le latin, plus raffinée que toute autre" dit Victor Durant in Histoire de beaucoup d'hommes, Payot 1937 )
Le pâli est une langue indo-européenne apparentée au sanscrit et qui est utilisée encore de nos jours comme langue religieuse par les bouddhistes du sud de l'Inde, du Sri Lanka, de la Birmanie et de la Thaïlande.

La langue khmère actuelle est classée dans les langues indo-européennes : "Tête" se dit "Kbal" , mot dans lequel on retrouve la racine (KéPHalé) grecque , ou la racine (KaPut) latine. "Dieu" se dit "TeVoDa" où l'on retrouve le (THéVos) grec et le ( DeVus) latin...
Sur le plan lexical, cette langue comprend un stock très ancien de Môn-Khmer, un stock ancien de mots empruntés au sanscrit et, depuis les années 1960, des termes techniques créés artificiellement et plus ou moins judicieusement à partir du pâli. Dans le langage courant, les vieux termes khmers, encore usités par les paysans, tombent en désuétude au profit de synonymes d'origine pâli ou sanscrit (exemple : koma est préféré à khmeng pour dire enfant)

La formation des mots procède d'un système de dérivation à base de préfixes et d'infixes ajoutés à un mot racine (exemple : à partir de teuk (l'eau) on dérive toteuk (mouillé))

C'est une langue riche en concepts concrets et en mots usuels; par exemple, le mot "marmite" aura une traduction différente selon qu'elle est en terre (chhnang) , en cuivre (khtéa) , grande (tlang) ou moyenne (con khléa) ...
Mais elle est pauvre en termes abstraits et les mots manquent dès que l'on veut s'écarter de la conversation usuelle.
Les mots savants d'origine moderne (et les mots idéologiques créés par le régime khmer rouge ) sont tirés du sanscrit, généralement selon les principes qui ont présidé à la formation des mots savants français : "Vélo" se dit "Kang" mais "Bi-Cyclette" se dit "ToChakra Yieun" (To = bi , deux - Chakra = roue -Yieun = véhicule).
Seuls les gens instruits selon les directives de la khmérisation (à partir de 1965) connaissent ce vocabulaire décalqué du français, mais totalement étranger à la langue khmère originale.

Contrairement au thaï et au vietnamien, ce n'est pas une langue tonale. Par contre c'est l'un des systèmes vocaliques les plus riches du monde.
Le nombre théorique de possibilités phonologiques est de l'ordre de 600 ! Et malgré cette richesse il lui manque certains sons utilisés par les langues occidentales : ainsi, par rapport au français les sons "J", "Ch" , "G" seront généralement prononcées comme un "S". le "U" sera prononcé "vui"... Les mots "je", "chauffeur", "région", "vumètre" sont imprononçables...

La langue khmère affectionne l'harmonie, l'alternance des longues et des brèves, les redondances . Souvent le Khmer "s'écoute parler". On dit du langage de quelqu'un qui parle bien qu'il est "harmonieux". Un Khmer lira généralement un texte à haute voix , pour "entendre" ce qu'il lit. Les mots cambodgiens étant écrits sans aucun espace intercalaire, la lecture est lente et ne peut être faite en "diagonale".


Le khmer repose sur un alphabet original, provenant du sud de l'Inde. unique et complexe, qui a donné naissance aux alphabets thaï et lao. L'unité de base n'est pas le caractère alphabétique (A,B,C,D...) comme en langues romaines, mais la syllabe.

Les caractères de base comprennent :

Selon qu'elles affectent les consonnes au son (o) ou celles au son (a), les voyelles donnent un son différent. Certaines sont brèves, d'autres longues, beaucoup sont des diphtongues.

Les syllabes finales sont fermées (terminées par une consonne, une lettre aspirée, un 's"), ou longues, mais jamais muettes....


Lire aussi : compléments de grammaire

Les langues asiatiques en général, et particulièrement le khmer, ont une grammaire très simple : ni temps, ni conjugaison, ni genre, ni nombre, ni article, ni pronom.

- Le qualificatif (adjectif) se place toujours après le qualifié;
- Pour indiquer le pluriel, on ajoutera un déterminatif : ex : "pain trois morceaux".
NB : Les mots khmers cités au pluriel dans un texte en langue française ne prennent pas de " s ".
- Pour le genre, on ajoute également un déterminatif : "boeuf femelle trois".
- Pour le temps, on ajoutera des adverbes (hier, aujourd'hui, demain) ou des particules ("neung" pour le futur, "obtenir" ou "bân" pour le passé).
- Pour les pronoms, on emploie des appellatifs : chacun se situe par rapport à l'autre, souvent en s'abaissant, parfois en abaissant l'autre pour manifester du mépris ou de la colère.

Kniom est la forme unique pour "je", "moi", "mon", "ma", "mes" ) se traduit par :
- "serviteur" dans une conversation avec un étranger; (Kniom)
- "serviteur-plante-des pieds" pour honorer quelqu'un d'important; (Kniom Bât)
- "serviteur-compassion" lorsque l'on s'adresse à un bonze, (Kniom Prâkarena)
- "serviteur portant sur sa tête la divine adoration sous la poussière la plus fine des augustes pieds de Monseigneur Maître" pour s'adresser au roi;
Mais on dira :
- "aîné" (Bang) si l'on est son cadet, sa fiancée ou sa femme;
- "enfant", " petit enfant", "neveu", si l'on parle à ses parents, grand-parents, oncles, gens plus anciens;
- "Agne" quand on s'adresse à des enfants, quand on est en colère, que l'on insulte autrui qui sera alors appelé "Aaèng".

A ce sujet , il convient de faire attention dans l'usage du tutoiement : le Khmer ressentira la relation "je -tu" comme celle du " Agn-Aèng", où la personne tutoyée est placée à un rang inférieur. C'est une expression de mépris. Même des amis se tutoient rarement en public.

La langue khmère est très concrète et descriptive : pour dire "Va me chercher cela!" Il convient de dire "aller prendre objet là porter venir moi".
Pour un français une phrase exprime une idée après laquelle on enchaîne une autre. Pour le Khmer les redondances, les répétitions sous une autre forme permettent à l'interlocuteur de saisir l'idée exprimée.

La phrase est mono-propositionnelle : les relatifs et conjonctions (parce que, afin que, pour, par....) sont d'usage récent, calqué sur le français. La phrase khmère est une juxtaposition spatiale et temporelle et non une organisation selon la logique cartésienne. Dans la phrase d'ailleurs, tout doit être explicite, sans idée abstraite. L'interrogation "Que désirez-vous : du pain ou du riz ? " ne sera pas comprise immédiatement. Pour ce faire il faudra expliquer de quoi on parle en premier et dire : " du pain ou du riz que désirez ?"

La langue khmère n'a pas, à proprement parler de mot signifiant "oui". Le mot utilisé se traduit littéralement par "plante des pieds" pour les hommes, "Maître" pour les femmes. C'est plus une formule de politesse signifiant "Oui, je vous écoute" qu'un acquiescement. Celui qui parle peut d'ailleurs intercaler ces mots, Bâ ou Tchâ, dans son discours, un peu comme le "n'est-ce pas" français. Ce mot peut être couplé avec "non" (té) pour exprimer une négation polie.

Pour exprimer un véritable acquiescement, le Khmer répétera le mot important de la question ou une partie de la phrase.
A l'interrogation : "Veux-tu aller au marché?" il répondra Bâ (Oui, je veux) ou - Bâ té (Oui, non) pour une réponse négative .