Critique publiée dans Cambodge Nouveau, N° 60
D'avril 1990 à mars 1994, période complexe qui a
précédé
et suivi les Accords de Paris de 1991, avec la mission de
l'APRONUC et les élections de 1993, Raoul Jennar, observateur
belge indépendant travaillant pour le Forum International
des ONG,s'est efforcé de voir clair et d'informer objectivement.
Sous le titre de Chroniques Cambodgiennes, Il a publié 29 rapports fortement documentés, aux commentaires vigoureux, qui sont comme le dit François Godement "une source précieuse pour éclairer une époque toute en demi teintes et en faux semblants".
Ces chroniques viennent d'être éditées en
un gros ouvrage.
Il y a là d'abord une énorme documentation scrupuleusement
recueillie. L'auteur s'est informé aux meilleures sources,
il a interviewé les responsables de tous bords, consulté
un maximum de documents On suit jour après jour, par exemple, des
périodes particulièrement délicates comme les 25 jours qui
ont suivi les élections de mai 93.
Deuxième mérite : ses commentaires, très personnalisés, font preuve d'un grand effort de lucidité, et elle n'était pas simple dans l'ambiance brouillardeuse, inorganisée, secrète, confuse de l'époque, traversée d'idées reçues et de langues de bois diverses.
Raoul Jennar a dénoncé tous azimuts non seulement le cynisme, la duplicité et le danger khmers rouges, mais aussi sans aucune complaisance, voire avec fougue, les faiblesses, les erreurs, les mensonges, les arrière-pensées des acteurs de l'époque.
Cela lui a valu de devenir une sorte de gourou pour les uns, une bête noire pour d' autres (les "visés" en général) et, le temps passant, un auteur respecté.
On a retenu surtout les coups bien assénés qu'il a portés à l'APRONUC, à ses méthodes et à ses oeuvres -bien loin de "l'évaluation triomphaliste que font de l'APRONUC les milieux onusiens, les cercles diplomatiques et certains journalistes".
Il est vrai que l'APRONUC "ridicule et irresponsable",
"ne sachant plus qu'inventer pour manifester sa complaisance
à l'égard des Khmers rouges" (p.419), 'totalement
défaillante", qui, "par maladresse, par ignorance
et par couardise vient
une fois de plus d'offrir un formidable encouragement aux khmers
rouges" (p. 421), s'attire les plus virulentes critiques
de R .Jennar.
Equitable cependant, il reconnaît, évoquant la création d'un gouvernement légitime au Cambodge que "ce progrès formidable constituera une très importante réalisation de l'APRONUC" (p.441 ).
Et puis l'ONU n' était pas la seule cible de Jennar.
Les Thaïlandais : 'L'arrogance, la duplicité et le rapacité thaïlandaises ont dépassé les limites du tolérable" (p. 429);
Les Occidentaux : "sont-ils aveugles, inconscients ou tout simplement cyniques "' (p.233);
Le général Sanderson : '"Ce militaire qui s'est surtout distingué par ses aveux d'impuissance et son ignorance des réalités du pays" (p 408);
Les Etats-Unis : "le projet américain est
clair : il s'agit de reconquérir une influence au Cambodge
perdue il y a trente ans du fait du Prince Sihanouk,
reconquise après le coup d'Etat de mars 1990, perdue
de nouveau en 1975 (...). En se servant de l'APRONUC (...) ils
peuvent espérer faire coup triple .· prendre une
double revanche sur Sihanouk et sur ceux que le Vietnam a installés
au pouvoir,mettre en place un gouvernement ami; barrer la route à
la France et à travers elle à l'Europe (. .)
(p. 466).
Citons encore en vrac parmi les cibles de ces Chroniques : les FARK et certains généraux (p.505); l'exercice du pouvoir par les deux grands partis au lendemain des élections (p. 510); ...
Toutes ces indignations, courageuses, justifiées, bien
argumentées, donnent du piment à la lecture. Peut-être
ont-elles contribué à redresser le cours
des choses ?
Pourtant la vertu principale de ce gros livre est à nos yeux de constituer une irremplaçable source d'informations et d'analyses lucides.