Extrait :
En 1952 à Paris, sept étudiants khmers sont réunis
dans un petit appartement, rue du Commerce, dans le XV° arrondissement ;
ils rédigent une lettre, adressée à Sihanouk,
qui remet en cause le système monarchique, une lettre d'une
violence tout à fait inhabituelle dans l'esprit des Khmers
habitués à la soumission devant le roi, maître
des eaux, des moissons et de la vie ; une lettre scandaleuse pour
Phnom Penh où devant les bonzes et les mandarins se prosterne
tout un peuple, où l'humilité est la règle,
où le mince vernis occidental n'a pas transformé
la toute-puissance du monarque. Sept étudiants d'une vingtaine
d'années : Ieng Sary, Saloth Sar, Rath Samoeurn, Hou Yuon,
une jeune fille Khieu Thiret, Thioun Moum et Sien An.
Cette lettre doit être une provocation; elle est outrageante
dans sa forme, excessive dans son objet puisqu'il est reproché
à Sihanouk non seulement " d'étrangler la démocratie
" en luttant contre les partis traditionnels mais aussi d'abandonner
les prétentions territoriales khmères sur la Cochinchine,
une province de l'ancien empire khmer passée depuis un
siècle sous la domination vietnamienne.
En réalité les sept étudiants qui ne peuvent
pas reprocher à Sihanouk de faire le jeu du colonialisme
puisque l'indépendance approche, qui ne peuvent pas lui
reprocher de lutter contre des maquisards dont chacun connaît
les liens avec l'étranger, entendent seulement manifester
la présence, affirmer l'existence d'une gauche révolutionnaire
marxiste purement khmère, plus intransigeante que l'opposition
démocrate animée par des princes libéraux
et dont le peuple est exclu, comme il est exclu de tous les mouvements
politiques réservés à la seule classe dirigeante
aristocratique et occidentalisée.
" Nous sommes les seuls représentants authentiques
du peuple cambodgien ", affirment les jeunes étudiants
à la face du monarque devant qui toute la nation plie le
genou et joint les mains.
Folie d'étudiants?... Prétention plus risible que menaçante?
Vingt cinq ans plus tard ces étudiants régneront à Phnom Penh "au nom du Peuple", imposeront au Cambodge leurs conceptions visionnaires d'une société sans classe, et élimineront Sihanouk malgré son allégeance à la révolution et malgré la réprobation de la Chine...