Bernard HAMEL

Sihanouk et le drame cambodgien


Extrait 1 : L'Avant-Propos

Aucun pays sans doute n'aura connu, depuis la fin de la 2' Guerre mondiale, autant de tragédies que le Cambodge.
Pendant plus de vingt ans en effet, depuis 1970 jusqu'à 1991, rien n'aura été épargné à ce malheureux pays. L'interminable série d'épreuves subies par son peuple présente un aspect effrayant, mais également déconcertant. Car comment ne pas s'interroger sur les raisons de ce cycle infernal de combats, de massacres et de destructions auquel il paraît si difficile de mettre définitivement un terme ? Il peut ainsi sembler qu'une sorte de malédiction pèserait sur le Cambodge et le peuple cambodgien. Comment expliquer, en tout cas, que ce peuple si paisible ait été plongé dans la guerre en 1970, puis dans l'horreur d'un monstrueux génocide, avant de connaître dix années d'occupation étrangère et une autre guerre qui ne s'est achevée, temporairement, qu'avec l'accord de Paris sur le Cambodge du 23 octobre 1991 ?...
Ces tragédies cambodgiennes successives ne sont pourtant pas inexplicables. Elles ont été portées en germe, si l'on peut dire, par les événements qui les ont précédées alors que le Cambodge était encore théoriquement en paix. Elles furent l'aboutissement inévitable de ces événements, qui ne pouvaient que conduire à des catastrophes. En fait il s'est agi d'un véritable engrenage qui s'est mis en place progressivement, vers le milieu des années 60, sans que les Cambodgiens s'en soient rendu compte. Il ne leur était donc pas possible de s'en dégager. Seul leur leader de l'époque aurait pu briser ce fatal engrenage, qu'il avait lui-même agencé par ses choix politiques malheureux. Mais lorsqu'il voulut enfin réagir, il était déjà trop tard.

Le personnage central du présent ouvrage est donc, nécessairement, le Prince Sihanouk - puisque lui seul occupait la scène politique cambodgienne avant 1970. L'ayant beaucoup approché pendant six ans en tant que journaliste (de 1964 à 1970), avant de vivre ensuite cinq années de guerre au Cambodge, l'auteur a pu suivre de près son étonnant parcours jusqu'à sa chute. Parcours marqué par de multiples événements et par des péripéties singulières, celles-ci généralement peu connues ou ignorées en Occident.
Pour mieux éclairer ces péripéties, on a donné ici, le plus possible, la parole au prince lui-même. Tous ses propos, qu'il a sans doute oubliés depuis longtemps déjà, sont comme il se doit - rigoureusement authentiques. Tout comme le sont aussi tous les faits relatés dans ce livre, même les plus surprenants. Les sources précises sont d'ailleurs constamment indiquées.
Quant au récit lui-même, il suit strictement l'ordre chronologique pour la période cruciale des années 1965-1970.
Ceci pour mieux mettre en lumière l'enchaînement inexorable des faits qui ont abouti, pour le Cambodge, à deux décennies de tragédies ininterrompues (1970-1990). Des tragédies dont les causes restent encore obscures ou difficilement compréhensibles, dans la mesure où elles ont été occultées ou simplement ignorées. Sur ces causes mal connues des épreuves démesurées - dans l'horreur et la durée - vécues par le peuple cambodgien, l'auteur a souhaité apporter dans ce récit son témoignage.


EXTRAIT 2 : LA CONCLUSION DU LIVRE :

Sihanouk, en effet, était ulcéré de sa destitution. Ayant toujours considéré son pays comme sa propriété personnelle, et se considérant lui-même comme un chef d'État à vie, et irremplaçable, il ne songeait plus qu'à se venger de son humiliation et à châtier les "traîtres". Pour y parvenir, les pires moyens allaient lui convenir. On le vit ainsi, à la fin du mois de mars 1970, s'allier - à Pékin - non seulement avec les communistes vietnamiens en cautionnant leur agression contre le Cambodge, mais aussi avec les " Khmers Rouges"> en oubliant, du jour au lendemain, qu'il les avait combattus avec persévérance pendant trois ans.
Par ces deux alliances, aussi funestes l'une que l'autre, le prince - tout à son désir de vengeance - venait d'ouvrir pour son peuple le cycle infernal de vingt années de tragédies. Mais les longues souffrances qu'allaient endurer les Cambodgiens lui importaient peu. Car seule comptait pour lui désormais la reconquête, avec le sang des autres, de son pouvoir perdu.