Ieng SARY est-il innocent?


Informations obtenues en 1994 dans la province de Ratanakiri (Enquête de Henri Locard et de TEP Navuth)

"Ta van ou Ieng Sary parlait très peu parmi les dirigeants de premier rang et il se mettait toujours derrière les autres à la réunion politique" (un habitant de Ta Veng)
"Quand Sihanouk est passé dans la zone libérée, c'était Ieng Sary qui était toujours à côté du roi".
Dire d' un ancien garde du corps de Ieng Sary : "Il allait très souvent à Hanoi avec Pol Pot et y séjournait".


Ecoutons PIN Yathay, ingénieur des travaux publics, raconter ce qu'il a vu pendant la déportation des Phnom Penhois lors de l'arrivée des KR. (Extrait de "l'Utopie meurtrière").

Vers 1 heure de l'après-midi, nous avions atteint le campus de la faculté de droit. Dans la matinée, nous n'avions accompli que deux kilomètres. A ce moment-là une colonne de Khmers rouges, venant en sens inverse, nous fit signe de nous écarter et de dégager la chaussée. Nous réussîmes à nous serrer sur les bas-côtés de la route malgré la confusion et le désordre qui régnaient dans la foule. Deux Peugeot 404 grises et une Mercedes noire passèrent devant nous à vive allure. Elle roulaient vers le centre de la ville. A l'intérieur des Peugeot, j'avais distingué des hommes noirs en armes. Deux hommes, à l'arrière de la Mercedes, n'étaient pas armés. L'un était plutôt corpulent. L'autre, qui portait des lunettes, avait une sihouette mince. Les deux parlaient en nous regardant. Ils avaient un sourire ironique sur les lèvres. Je n'oublierai jamais ce sourire. Autour de moi, dans la foule, on chuchota le nom de l'un des hommes. C'était Ieng Sary, un des dirigeants Khmers rouges. La foule se referma sur le cortège après son passage.


Interview de Ieng Sary, vice-premier ministre du G.R.U.N.K, accordée à James Pringle (News Week) 4 septembre 1975.


M. PRINGLE: Pourquoi vos forces ont-elles évacué la population de Phnom Penh après la prise de la capitale le 17 avril?
M. IENG Sary: Il y avait deux raisons et, la première c'était les vivres. Nous avions estimé la population de Phnom Penh à 2 millions d'habitants, mais nous en avions trouvé presque 3 millions quand nous y étions entrés. Auparavant, les Américains avaient amené, chaque mois, de 30 000 à 40 000 tonnes de vivres à Phnom Penh. Nous manquions de moyens pour transporter dans la capitale la même quantité de vivres. Aussi, la population doit-elle aller chercher les vivres là où ils se trouvaient. Et nous devions nourrir cette population tout en préservant notre indépendance et notre dignité sans demander l'aide d'un quelconque pays.
M. PRINGLE: Quelle était la deuxième raison?
M. IENG Sary: Nous avions découvert un document ennemi révélant tous les détails d'un plan secret politico-militaire de la C.I.A. américaine et du régime de Lon Nol pour provoquer les troubles après notre victoire. Ce plan comporte trois points :
1. Nous ne serions pas capable de résoudre le problème des vivres pour la population. L'ennemi ferait fomenter des troubles par agents infitrés dans la population;
2. De nombreux soldats de Lon Nol, qui se sont soumis, cachaient en réalité des armes. Ils avaient projeté de nous attaquer après que nous ayons pris Phnom Penh;
3. Ils avaient prévu de corrompre nos combattants et d'émousser leur esprit combatif par les filles, l'alcool et l'argent.


L'agenda de Ieng Sary

En 1979 un agenda anonyme fut découvert à Phnom Penh dans la maison qu'occupait Ieng Sary. Cet agenda comportait entre autres les comptes-rendus de réunion du Comité Central des Khmers rouges. Ce document est consultable sur http://www.yale.edu/cgp)

L'écriture serait celle de l'assistant de Ieng Sary, les notes, sur 152 pages, démarrent au 21 mai 1976 et s'arrêtent au 5 janvier 1979, deux jours avant l'entrée des vietnamiens dans Phnom Penh .
Avec le livre de Laurence PICQ, " Au delà de l'horizon " il est un des rares témoignages provenant de la structure khmère rouge.

Le nom de code de Ieng Sary était " Van ".

Il apparaît dans ce texte que Van, alias Ieng Sary avait rang de
- numéro 2 en avril 1975 (source anonyme auprès de l'AFP citant dans l'ordre : Saloth Sar [Pol Pot], Ieng Sary, Son [Son Sen?], Nuon Chea, So Vana alias " Pem " [So Phim?]
- numéro 3 en 1975-1976, après Pol Pot et Nuon Chea. Il fut officiellement nommé en août 1975 " premier ministre adjoint en charge des affaires étrangères, poste qu'il garda jusqu'à la chute du régime.
- Dans un document du 11 avril 1977, il apparaît en 6éme position. Une information de 1978 le place en 4éme position après Pol Pot, Nuon Chea et Ta Mok. Il était toujours membre permanent du Comité Exécutif du Comité Central.



Vider Phnom Penh, qui a décidé ?

Extrait de la pièce de théâtre "L'histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, Roi du Cambodge" de Hélène Cixous 1987. (Acte 3 Scène 3)


POL POT
Prendre Phnom Penh, qu'est -ce que cela signifie pour nous?
HOU YOUN
La victoire finale, le bonheur.
POL POT
D'abord la plus grande victoire du monde. Mais ne nous laissons pas éblouir par le miroitant triomphe militaire. Prendre Phnom Penh, ce n'est rien Je prends Phnom Penh et après qu'est ce que je vois?
KHIEU SAMPHAN
Deux millions et demi d'affamés.
HOU YOUN
Le bordel. Un immense bordel chaotique affamé, surpeuplé. Car c'est presque la moitié du pays qui est entassée la capitale. Cela va nous demander un effort d'administration surhumain.
POL POT
Et moi je vois que nous n'administrons rien du tout. Je vois qu'une nouvelle guerre commence tout suite.
Je vois que notre révolution est attaquée par la contre-révolution.
IENG SARY
J'allais le dire. Qu'est ce que Phnom Penh? Non seulement le musée gigantesque de toutes les corruptions, le repaire puant des égoïsmes, des privilèges, des lâchetés, mais aussi le quartier général des espionnages américains, républicains et sihanoukistes.
IENG THIRITH
Toute la ville fourmille d'agents doubles. Tout est miné, tout est piégé.
HOU YOUN
Mais la plupart des habitants de Phnom Penh ne sont pas de vrais citadins, ce sont des réfugiés, des paysans.
IENG THIRITH
Qui ne jurent que par Sihanouk et par la République.
KHIEU SAMPHAN
En vérité, Phnom Penh est une Sodome qui nous hait. Et je ne conçois pas que dans l'état monstrueux où la guerre l'a mise nous puissions l'administrer proprement.
HOU YOUN
Mais alors comment faire? Et qu'est-ce que vous voyez?
POL POT
Est-ce que j'ai envie d'administrer le monstre? Est-ce que j'ai envie de nourrir le crocodile qui, à peine rétabli, nous déchiquettera? Je dis non!
KHIEU SAMPHAN
Je suis d'accord. Nourrir Phnom Penh, c'est nourrir notre propre mort.
IENG THIRITH
Hou Youn n'est pas d'accord.
HOU YOUN
Mais non... Mais si. Seulement je ne vois pas comment nous allons faire?
POL POT
Est-ce que j'ai envie de garder Phnom Penh? Que dit l'Angkar? L'Organisation dit: Non.
IENG SARY
Il faut vider Phnom Penh !
POL POT
Voilà. C'est la solution. Elle est juste. Et il n'y en a qu'une.
HOU YOUN
Quelle idée ! Vous croyez qu'évacuer prendra moins de temps que mettre en place une nouvelle organisation. Evacuer deux millions et demi d'habitants? Le temps de prévoir des transports, un accueil, un approvisionnement?
IENG SARY
Qui parle d'accueil? Vous rêvez? Il s'agit de vider l'abcès, d'un seul coup de lancette. De déloger les ennemis, de fracasser les nids de tous ces rats, de prévenir toute subversion par une manoeuvre inattendu et radicale. Nous n'allons pas transporter les rats en limousine et les installer dans un palais !
IENG THIRITH
Cela ne prend pas longtemps de vider la poubelle. Il suffit de la renverser.
IENG SARY
Tout le monde dehors. Il fallait y penser !
HOU YOUN
Mais il y a le bon grain dans l'ivraie !
POL POT
Nous saurons trier Hou Youn, nous allons trier.
HOU YOUN
Et où iront tous les déchets?
POL POT
A la campagne, aux champs, construire les digues, cultiver le riz.
IENG THIRITH
Je demande que Hou Youn...
HOU YOUN
Mais enfin, deux millions de personnes, dehors, sur les routes, en cette saison, avec tout le pays en ruine, de quoi vivront-elles? C'est inimaginable !
KHIEU SAMPHAN (à Hou Youn)
taisez-vous maintenant ! Taisez-vous !
IENG THIRITH
Hou Youn, vous ne faites pas confiance à l'Organisation ?
HOU YOUN
Je m'oppose à cette décision. Khieu Samphan, je vous en prie, il y a des nôtres là-bas. Nous avons des parents, des amis à Phnom Penh. votre mère est toujours là-bas !
KHIEU SAMPHAN
Taisez-vous ! Hou Youn, vous ne voyez pas que vous nous déplaisez? Ma mère est à Phnom Penh et je n'hésite pas un instant.
HOU YOUN
Ce sera une hécatombe !
KHIEU SAMPHAN
Tais-toi. J'ai toujours désiré que naisse une société nouvelle, d'une pureté inouïe, sans ville, sans commerces, sans germes de décomposition. Je l'ai écrit et vous aussi d'ailleurs, Hou Youn. Mais moi je ne renie aucune de mes théories. Je demande l'évacuation exemplaire de Phnom Penh et la désurbanisation totale de notre Cambodge. Je demande la censure de notre frère Hou Youn pour une durée indéterminée.
IENG THIRITH
J'allais la demander.
POL POT
Adoptée. Avançons.
HOU YOUN (à Khieu samphan)
je ne suis pas le seul à regretter Phnom Penh. J'en suis sûr. je ne puis croire que vous soyez sincère.
(Hou Youn sort )
POL POT
Khieu Samphan, vous mènerez l'attaque et l'évacuation avec Ieng Sary.
IENG THIRITH
Allons-nous épouiller Phnom Penh et épargner Hou Youn ? Depuis dix ans il nous mine et nous suce le sang. C'est un agent de la C.I.A. je me demande par quels dieux il est protégé?
KHIEU SAMPHAN
Un agent de la C.I.A. ? je n'y avais pas pensé.
IENG THIRITH
Pourtant c'est une évidence. vous l'aimez trop.
IENG SARY
A Pékin, je l'ai vu lire le New York times.
POL POT
Quand nous aurons gagné, sans plus tarder nous l'éliminerons. Ieng Thirith, c'est vous qui veillerez.
IENG SARY
Hou Youn était un chef très populaire.
POL POT
Nous passerons le fleuve demain.
( Tous sortent)