Une analyse géopolitique du conflit vietnamo-cambodgien de l'après Pol Pot (1978- 1991).
Contrairement à interprétation géostratégique en vogue au début des années quatre-vingts, le troisième conflit indochinois n'était pas qu'une simple excroissance du conflit global sino-soviétique, épiphénomène violent des relations triangulaires Chine-URSS-USA..
A l'inverse, ne mette en exergue que la seule dimension régionale (sino-vietnamienne et vietnamo-ASEAN), ou la dimension locale (sempiternelle lutte de factions et guerre civile cambodgienne) péchait aussi par excès de simplification.
Le sens du troisième conflit indochinois fut ainsi très variable selon les divers protagonistes, et ce sens fut également sujet à fluctuation dans le temps :
* Pour la guérilla khmère, il s'agissait dans un premier temps d'une lutte de libération nationale contre l'envahisseur vietnamien. Par la suite, l'objectif fut de participer au pouvoir en s'accommodant de la faction Hun Sen-Heng Samrin.
* Pour le Vietnam, il s'agissait au départ d'assurer la sécurité de son territoire en empêchant sa prise en tenaille au nord et au sud. Peut-être également s'agissait-il de réaliser une nouvelle mouture de la "fédération indochinoise ", signifiant au moins la réalisation de l'unité stratégique de l'Indochine. Par la suite, il ne s'agissait plus que d'un conflit diplomatique dont l'enjeu était le retour ou non d'un pouvoir politique hostile à Phnom Penh, et la levée des sanctions économiques qui paralysaient son développement.
* Pour la Thaïlande, il s'agissait d'éviter qu'un conflit frontalier ne dégénérât en agression caractérisée de son territoire. Par la suite, la Thaïlande ne craignit plus vraiment l'expansionnisme vietnamien et eut hâte de voir la résolution de ce conflit afin de profiter des opportunités commerciales offertes par le marché indochinois.
* Pour les autres membres de l'ASEAN, il s'agissait d'assurer la sécurité de la région en tentant d'empêcher les grandes puissances de faire de l'Asie du sud-est une zone d'affrontement indirect. Il s'agissait également, sur le plan des principes, de dénier le droit à quiconque d'intervenir sur le territoire d'un autre État. Ces objectifs restèrent inchangés, mais s'y ajoutèrent éventuellement les mêmes ambitions économiques que nourrissait la Thaïlande.
* Pour la Chine, il s'agissait au départ de briser l'encerclement
soviétique au sud et, pour ce faire, de pratiquer un contre-encerclement
de la péninsule indochinoise. À terme, ce conflit
déterminait le type de relations devant exister entre la
Chine et les pays anciennement vassaux de l'Asie du Sud-Est.
Par la suite, il s'agissait avant tout de sauver la face en obtenant
que les Khmers rouges soient au moins associés au processus
de règlement politique du conflit, tout en s'arrangeant
pour sauvegarder ce qui restait du monde socialiste.
* Pour l'URSS, il s'agissait bien d'encercler la Chine, de contester la suprématie américaine dans la région et de briser son dispositif d'encerclement insulaire périasiatique et, bien entendu, d'étendre l'influence soviétique. Mais, à partir de 1986, l'URSS chercha avant tout à se dégager d'un bourbier qui contribuait à épuiser ses finances et à détériorer son image internationale dans le tiers monde, et particulièrement en Asie.
* Pour les États-Unis enfin, le conflit s'intégrait dans leur vision de l'expansionnisme soviétique qu'il s'agissait de bloquer ; mais, dès lors que la menace soviétique refluait de toutes parts, il s'agissait plutôt d'être enfin partie prenante à un règlement du conflit local afin, si possible, d'en tirer un bénéfice moral (voire une "revanche posthume" sur le Vietnam) sans mettre en péril les relations spéciales avec Pékin.
Pour chacun de ces intervenants, le troisième conflit indochinois prenait un sens différent, variable également dans le temps : lutte de libération nationale, conflit frontalier, conflit régional, global ou périphérique...
Il s'agissait en réalité de tout cela à la fois, et la hiérarchisation des niveaux ne manque pas de poser quelques problèmes.