Nouvel an : les jeux de la séduction...


Les trois jours chômés du nouvel an marquent la fin des travaux de la moisson. Pendant ces journées les Khmers arrangeront et décoreront leur maison, iront à la pagode faire des offrandes. Les jeunes en profiteront pour arroser les passants avec de l'eau ou de la farine...Dans la soirée commenceront les jeux et les éclats de rire.


1- Le calendrier

La tradition cambodgienne suit un calendrier luni-solaire : le calendrier religieux est basé sur les mouvements de la lune, mais il est corrigé par les astrologues brahmanistes du palais, les hora, pour être en accord avec l'année solaire.
La date du nouvel an khmer est donc fixée, tous les ans, par le clergé. Il tombera en général soit le 12, soit le 13 Avril, c'est à dire, après le nouvel an chrétien et le nouvel an chinois et vietnamien (le têt)...

La date du nouvel an se réfère, normalement, au calendrier bouddhiste et ainsi, en 1996, nous rentrions le 13 avril 1996 à 4 heures de l'après-midi, en l'an 2540.
Mais cette règle peut connaître des dérogations, notamment si les "signes du ciel" sont défavorables. Ainsi, en 1945, il y eut deux Nouvel An : le premier à la date traditionnelle, le second pour fêter l'entrée des Japonais au Cambodge. En 1996, prétextant d'un mauvais présage, la foudre s'abattant sur Angkor, il fut fortement question de recommencer la célébration du Nouvel An.( on était alors en pleine crise politique entre les deux Premiers Ministres...)

NB 1: Les Cambodgiens ont connu plusieurs ères :

* La Grande Ere, utilisée du temps d'Angkor, qui débutait en 78 après J.C.
* La Petite Ere, basée sur la marche du soleil. Elle démarre en 638 après J.C. Son jour de l'an coïncide avec le 12 ou 13 avril.
* L'Ere Bouddhique, en usage actuellement. Son origine coïncide avec l'entrée du Bouddha dans le Nirvâna, soit en l'an 543 avant J.C. d'après la tradition cinghalaise. Le clergé fait partir les années de cette ère à partir de la pleine lune suivant le 30 avril, mais dans le calendrier civil, le nouvel an est fixé soit le 12 , soit le 13 avril, en même temps que celui de la Petite Ere.

NB 2 : Il était d'usage d'utiliser un cycle de douze années, chacune portant un nom d'animal. Ce mini-cycle est lui même compris dans un grand cycle de soixante ans...
Ces douze animaux sont : le rat, le boeuf, le tigre, le lièvre, le dragon, le serpent, le cheval, la chèvre, le singe, le coq, le chien, le porc.
Il est totalement admis que l'animal qui préside à l'année de naissance prédestine la vie de l'individu...

Pour plus de détails lire le calendrier khmer


2.- Les monts de sable ou phnom khsac

L'un des rites les plus visibles de l'entrée dans la nouvelle année ( Chol chnam thmei ) est l'érection de monts de sable. Une des légendes dit que chaque grain de sable déposé par un fidèle le délivre d'un péché...


3- Les jeux : texte d'après Kong Sothanrith, de Cambodge Soir.

Quelques jours avant que le royaume ne célèbre réellement l'entrée dans la nouvelle année, une atmosphère festive et ludique envahit villes et villages cambodgiens. Les parents permettent à leur progéniture de veiller tardivement. Garçons et filles se rejoignent pour disputer des parties de Krop Moan, Leak Kansèng, Boas Angkogn....Même si à Phnom Penh, les adeptes de ces jeux traditionnels semblent être de plus en plus remplacés par des danseurs agglutinés autour de haut-parleurs disposés sur le trottoir, en province, les nuits précédant le Nouvel an continuent d'être rythmées par ces joutes dont l'origine remonte à l'époque pré-angkorienne (on retrouve leurs traces sur des bas reliefs des temples).

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Chacun de ces jeux fait appel à des qualités particulières qui forgeront ainsi le caractère de jeunes participants. "Si je suis persuadé que ces jeux ont été élaborés pour développer les sens de l'observation, les réflexes, l'esprit de solidarité ou encore le sens de l'économie, par dessus s'est greffée une autre fonction qui explique leur succès : c'est l'occasion pour les jeunes gens de se rencontrer et de parfois bâtir un amour", explique Pring Sokhon, qui lui-même, originaire de Kompong Cham, a rencontré son épouse de Takéo à Phnom Penh alors qu'ils se dédiaient au Jet de Chhoung. "Aucun jeu n'est pratiqué dans le but avoué de provoquer des idylles. Mais par ses règles [ les jeux mettent généralement en lice deux personnes du sexe opposé ], par les encouragements de la foule et les taquineries des amis, un amour peut naître de ces joutes. Il n'est pas rare qu'après le Nouvel an, des jeunes hommes poussent leurs parents à aller demander la main d'une jeune fille qu'ils ont connue pendant les fêtes";

"Si nous négligeons ces jeux, ils vont disparaître"

M.Yim fait aussi partie de ceux-là. A 58 ans, le cyclo-pousse se souvient de la rencontre avec celle qui deviendra la femme de sa vie.
"Quand j'étais jeune, le Nouvel an était très important. C'était la seule occasion que j'avais avec mes amis de sortir de mon village. C'est dans le district de Kompong Trach [ province de Kampot ] un district loin d'où j'habitais, que j'ai rencontré ma femme. Chaque année pendant trois ans je suis retourné la voir avant de me marier avec elle".

Si les plus vieux Cambodgiens se rappellent avec nostalgie ces moments d'insouciance, ils s'inquiètent aujourd'hui devant ce qu'ils pressentent comme la disparition de ces coutumes. "Autrefois, nous jouions très sincèrement", insiste le professeur de théâtre qui a commencé à exercer sa profession sous le Protectorat français. "Maintenant, les jeunes prennent cela à la légère. Si nous négligeons ces jeux, ils vont disparaître. Nous devons, nous Cambodgiens, réagir et mener des recherches sur ces jeux afin de les maintenir en vie. Il ne faut pas que ce soit toujours les étrangers qui s'intéressent à notre culture. Nous devons nous aussi prendre conscience de la richesse de notre civilisation".

Quelques jeux et leurs règles...

Krop Moan (Le coq couvert) : deux groupes, un de garçons et un de filles, désignent un chef qui doit reconnaître la voix d'un des membres du groupe adverse dont le visage est caché sous une couverture. "Exerce le sens de l'observation et l'ouïe"(*)

Leak Pong Khaek (Cacher l'oeuf du corbeau) : une personne, à quatre pattes, doit empêcher, par tous les moyens, les autres de se saisir d'un oeuf qu'elle a sous son ventre. "Apprend à conserver ses biens";

Leak Kansèng (Cacher l'écharpe ): des personnes disposées en cercle font circuler dans leur dos une écharpe et essayent de berner le concurrent.. "Développe la sensibilité".

Boas Ang Kogn : chaque équipe dispose sur le sol trois ou cinq graines de Ang Kogn (arbres qui poussent dans le nord du pays). On doit essayer de les toucher en les visant avec d'autres graines. Le gagnant aura le droit de tapoter le genou du perdant avec la graine marron. " Fait appel à la concentration".

Dan Doeum Sloeuk Chheur : (Se saisir des branchages):entre un garçon et une fille sont déposées plusieurs branches attachées. Un des deux doit tenter de s'en saisir sans que l'autre ne le touche. le vainqueur donne un gage au perdant,. "On doit pouvoir atteindre un but sans l'aide de quiconque".

( * )Les commentaires entre guillemets sont ceux de Pring Sokhon, professeur de théâtre à la Faculté des Beaux-arts.