La polygamie dans la société khmère

Jérôme ROUER, déc 96, mai 97.

Lire aussi "La femme khmère"


Du temps d'Angkor, offrir sa plus belle fille au roi était un signe de vassalité communément admis...
"La plupart du temps on choisit des princes pour les emplois (de fonctionnaire) ; sinon, les élus offrent leurs filles comme concubines royales." Tcheou Ta-Kouan, 1296.

Chez les grands et les riches la polygamie était une tendance courante jusqu'au début du protectorat.
Elle est cependant contraire à l'instinct du peuple khmer dont les femmes sont fières, jalouses et vindicatives.
La première femme ( propoun doem ) jouit de beaucoup plus d'autorité, de prérogatives et de considération.


1- Extrait de l'étude de Gabrielle MARTEL, après un séjour de 15 mois, en 1962, dans le village de Lovéa

La loi autorise un homme à prendre plusieurs épouses ; elles sont de " degrés " différents. Il y a une hiérarchie des épouses. La première s'appelle : propoun doem ou doem, épouse du début, d'origine, ou grande épouse. Les autres épouses portent modestement le nom de propoun chong, épouse(s) du bout, de la fin, ou petite épouse, propoun totch.

A Lovéa, il n'est venu à ma connaissance qu'un seul cas de polygamie à l'intérieur du village avec cohabitation des épouses.
Il s'agissait d'un villageois du commun, n'occupant aucun poste particulier, âgé de 41 ans dont la grande épouse avait 30 ans. Le couple avait perdu 8 ans plus tôt un fils de 8 mois et, c'est probablement le désir d'obtenir des enfants qui avait poussé le mari à prendre une " petite épouse " de 23 ans. Il s'agit là d'un cas exceptionnel puisqu'il y a cohabitation des épouses, on pourrait penser que d'autres villageois ayant ailleurs une épouse du second degré ne l'ont pas signalé lors du recensement. Cette hypothèse cependant est peu vraisemblable, pour deux raisons principalement :
- La première est économique et ce que disait A. Cabaton à ce sujet, au début du siècle, peut être repris dans la situation actuelle : "Les gens du peuple, qui n'ont pas de fournisseurs bénévoles, ni de fortune assez grosse pour nourrir plusieurs femmes et un nombre illimité d'enfants, s'en tiennent de grand coeur à une seule épouse, à laquelle ils sont généralement fidèles. En fait, si donc la polygamie est légale, la monogamie est la règle pour la grande majorité des Cambodgiens. "
- La seconde raison tient dans le caractère peu contraignant du mariage dans cette société. Le divorce est admis et les mariages sont successifs au lieu d'être simultanés.


2- Note de Georges GROSLIER in "Retour à l'argile" (1928 ) :

Le Cambodgien est polygame de tendance et prend plusieurs femmes chaque fois qu'il le peut. La première épouse, littéralement " grande épouse ", est acquise par l'homme qui s'est prosterné devant les parents et a accompli tous les rites prescrits. Il y a d'autres catégories d'épouses selon la façon dont on les recrute, mais il est inutile d'en parler ici.
La grande épouse doit être consentante. En pratique, c'est souvent elle qui choisit ses compagnes, elle les surveille, les commande ; tout se passe sous sa garde et elle ne sacrifie aucune des prérogatives, aucun des droits dont elle disposerait seule. Le code cambodgien, très minutieux sur ce chapitre, règle les devoirs réciproques des épouses, leur hiérarchie, les appellations dont elles doivent user entre elles, toutes questions d'héritage, etc. ,
On ne trouve dans cette institution aucune perversité.
On voit beaucoup de vieux dignitaires posséder plusieurs épouses qu'ils ne fatiguent certainement pas par un surcroît d'exigence. Il faut rayer de nos papiers -du moins au Cambodge - ces tableaux de sérails et de harems devant lesquels notre imagination vagabonde.
Ce peuple est grégaire, gai et bavard. Les femmes forment la compagnie essentielle, permanente de l'homme et exercent sur lui une très grosse influence morale.
Elles sont bien plus appelées à son service, à le soigner, à le distraire par leurs paroles et leur présence, à peupler la maison d'enfants - qu'à servir d'objets de débauche. Au surplus leur pudeur est à juste titre légendaire. Je ne dis pas qu'il n'y a pas dans ce pays aucune débauche - mais la masse de ses ménages polygames est paisible.


1- Extrait de la thèse de Jean DELVERT, "Le paysan cambodgien", 1960

Le paysan est monogame. La polygamie est légale mais elle n'existe que chez les riches familles des villes et elle exclut d'ailleurs la cohabitation des épouses sous le même toit. "La rizière de celui qui a deux femmes est large comme un van (à trier le riz), son pagne large seulement comme un boyau de poule".