DE LA SOUMISSION ASIATIQUE

étude extraite du livre de Martial Dassé,
Les Guérillas en Asie du Sud-Est, chez l'Harmattan, 1993, page 140

La valeur de la soumission l'emporte toujours sur celle de la révolte.


Note de Cambodge Contact

Voici un texte essentiel pour la compréhension des phénomènes politiques au Cambodge, que ce soit la fin d'Angkor, l'attitude de la population devant les Khmers rouges, les amnisties de ceux-ci ou les rivalités actuelles entre Hun Sen et Rannaridh.
Il se trouve en plus que le Cambodge est la société la plus féodalisée, au moins dans sa mentalité, d'Asie.


Le concept de soumission en Asie n'a pas la même résonance qu'en Occident et se situe même à l'opposé. Loin d'être assimilé à une humiliation, il l'est à la raison. Le but ultime de la vie dans la misère de l'Asie est tout simplement de survivre.

Pour l'homme né misérable, la sécurité ne peut être assurés que par un maître qui, en échange de la soumission et des services rendus, assurera gîte, nourriture et surtout protection. C'est alors la fin de l'isolement qui, en Asie, signifie la mort certaine à plus ou moins bref délai.

Se soumettre au plus fort, alors que s'opposer à lui est risquer la mort, constitue un acte raisonnable, un acte de bonne conduite sociale. La société traditionnelle est conçue un peu comme une classe dirigée par un instituteur sourcilleux qui distribue des bons points pour la meilleure conduite et obéissance. Dans la société asiatique, on ne saurait être original. Sortir du troupeau est assimilé à l'arrogance. L'insoumis est un tigre, animal cruel et asocial.

Or, n'a pas la chance de trouver à se soumettre qui veut. Chacun veut bien se soumettre mais encore faut-il trouver quelqu'un qui accepte cette soumission en remarquant ses qualités.

Cependant la soumission est calculée : elle n'est ni servile, ni définitive. Le maître doit la mériter en faisant la preuve constamment qu'il est le plus fort et donc peut assurer la protection.
C'est le prix qu'il a à payer. Au moindre signe de faiblesse, il n'est plus respecté comme important, celui qui donne l'ombre, selon l'expression de l'Asie, et donc il n'est plus utile de le servir. Le soumis démontre alors son habilité en cherchant un nouveau maître. Ce qui pour un Occidental est opportunisme forcené est pour l'Asiatique art de survivre. A quoi bon mourir pour un incapable. Ce n'est pas trahir mais chercher une légitime amélioration de son sort. En conséquence, la confiance accordée aux disciples, subordonnés, soldats, etc., dépend de la force que l'on possède, non pas envers eux, mais envers la société et tout ennemi. Ainsi, le soumis veut savoir qui est réellement le plus fort de tous car ce sera lui le meilleur protecteur. Sa vie peut avoir comme emblème la girouette.

Pourtant, il se considère seulement comme astucieux de suivre le vent et il ne comprend pas les critiques de l'occidental.
Retoumer sa veste n'est pas manquer à sa promesse, car c'est le maître qui a toujours tort : il n'avait qu'à demeurer le plus fort s'il voulait que ses gens restent à son service. C'est avoir une grande face, pour un chef, que d'avoir de nombreux subordonnés mais encore faut-il les conserver. Ils sont une masse extrêmement mobile.

Le combattant, guérillero marxiste ou non, applique cette règle. Changer de camp est admis. Cela facilite les infiltrations par de faux défecteurs, antique ruse utilisée maintes fois dans les Trois royaumes. Il s'agit alors de sonder la sincérité du défecteur, non pas en lui proposant une épreuve cruelle dans laquelle il risquera sa vie, mais en lui demandant un plan qui permettra de nuire de rnanière très conséquente à son ex-maître. Dans ce recrutement des défecteurs, se retrouve le pragmatisme de l'Asie : il est plus utile de grossir ses rangs de déserteurs que de les tuer.

C'est en se fondant sur ces notions que les gouvernements font sans cesse des offres d'amnistie. Ils sont les plus forts, le guérillero doit être raisonnable en se soumettant à eux. ( cf les Khmers rouges en 1996/1997)

Il sera reçu comme l'enfant prodigue. S'il refuse, il sera un rebelle, un têtu, un mauvais sujet, un vaurien, etc., les qualificatifs nc manquant pas en ce domaine. Le guérillero accepte de se soumettre à partir du moment où il perçoit qu'il a fait le mauvais choix. Son reniement est accepté par les deux côtés et il n'y a pas de représailles. La société considère qu'il s'est réinséré et les guérilleros qu'ils ne peuvent s'opposer à son choix du moyen de survivre. Si les gouvernements ne tiennent pas leur promesse ils seront considérés comme sans honneur, car l'honneur consiste à bien traiter les soumis.

On est loin du marxisme et de l'occident qui l'a créé. C'est une lapalissade de dire qu'en Asie l'Asie reste l'Asie. La valeur de la soumission l'emporte toujours sur celle de la révolte. Se rendre, capituler, est recommandé si cette attitude est la solution correcte. Camerone ne sera pas pour l'honneur des armes mais seulement si l'ennemi n'accepte pas la soumission et ne laisse donc pas d'autre choix.