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La vie du Bouddha"Image du Bouddha", extraits du livre de Guy de Pourtalès"Nous à qui rien n'appartient" |
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Aux confins du Népal et de l'Inde, dans le bassin oriental
du Gange, vivait, près de six cents années avant
la naissance du Christ, un raja très fameux. Il s'appelait
Suddhodana, de la famille des Çakya, et régnait
à Kapilavastu. L'Inde ne se connaissait pas de prince plus
vaillant ni plus juste. Son épouse, la reine Maya, était
jeune, raconte des livres saints, le Lolita Vistara, sa beauté
était parfaite.
En ce temps-là, il y avait au ciel des bienheureux brahmaniques, un bodhisattva qui préparait sa réincarnation. Car les bodhisattvas, dans le paradis, méditent leur dernière apparition sur la terre. Ces être de sagesse ont déjà, dans des milliers d'existences antérieures, marqué d'héroïques dévouements leur terrestre passage; mais ils ambitionnent encore une réincarnation suprême, qui les conduira à la bouddhéité et leur permettra d'atteindre enfin l'ultime délivrance du nirvana. Ce boddhisattva, ayant observé tant de beauté et de sagesse dans le palais de Kapilavastu, choisit la famille des Çakya pour reparaître une dernière fois parmi les hommes.
A l'heure de cette résolution, des centaines d'oiseaux
s'abattirent sur les toits et les terrasses du palais, les arbres
se couvrirent de fleurs, les étangs de lotus bleus. Avertie
par un pressentiment, la reine Maya se retira dans le gynécée
pour y méditer. C'est alors que le boddhisattva descendit
dans son sein sous la forme d'un éléphanteau
L'enfant reçut le
nom de Siddhartha. Sept jours après sa naissance, sa mère
mourut de bonheur et alla renaître parmi les dieux. La tante
de l'enfant prit alors soin de lui, et bientôt sa grandeur
fut prophétisée par le saint vieillard Asita, ascète
descendu tout exprès du lointain Himalaya. Il découvrit
sur le corps du poupon les signes déjà visibles
des Bouddhas, l'urnâ, ou flacon de laine blanche comme neige
entre les yeux, et le sceau de la Loi sur plainte des pieds. Conduit
au temple par ses parents, les statues des divinités védiques
se prosternèrent en chantant :
Il grandit, étonnant ses maîtres par sa sagesse et
plus savant que les vieillards. Un jour, dans les champs, il vit
Vint le temps de lui trouver une épouse. Toutes les jeunes filles du pays furent rassemblées devant le roi, et la jeune Gopa seule jugée digne de devenir la femme d'un prince si parfait. Mais le père Gopa exprima des doutes sur la vaillance de Siddhârtha, élevé dans la mollesse du palais, et exigea que l'on fit subir au jeune homme des épreuves montrant son courage et sa force. Siddhârtha sortit vainqueur de cette joute, ayant seul réussi à tendre l'arc du héros, son aïeul. Il connaît alors les délices du gynécée. "Le jeune prince reposait sur son lit, tandis qu'avec toutes sortes d'instruments, des femmes charmantes le réjouissaient aux sons d'une musique très douce". Mais il n'en continuait pas moins de songer à la douleur du monde, et son père, s'attristant de cette tristesse, prit soin qu'aucun spectacle de la souffrance humaine ne vînt frapper ses yeux. Cependant, malgré toutes les précautions, il lui arriva un vieillard, un malade, un mort, et enfin un moine. C'est ce qu'on appelle les Quatre Signes ou les Quatre Rencontres. "Honte à la vie, s'écria-t-il, puisque la décomposition de tout ce qui vit est une vérité notoire !". Et ayant observé la sérénité du moine, il résolut aussitôt de devenir religieux. Mais son père voulut l'en empêcher. Il fit doubler les musiques, remplit ses jardins de femmes encore plus belles, qui saluèrent de leurs mains jointes, pareilles aux calices des lotus, et l'enlacèrent de force. Il résista à leurs tentations et persista dans son projet. Même la pensée de son fils, qui venait de naître, ne l'en détourna point. Au contraire, il le nomma Rahula, ce qui signifie Empêchement. Regardant dormir toutes ces femmes dans l'inconscient relâchement du sommeil, "il se fit l'idée d'un cimetière". Alors il sortit furtivement, appela son écuyer et fit amener son cheval. L'écuyer lui dit : "Où irez vous, lion des hommes, aux longs sourcils, aux yeux beaux comme des pétales de lotus, vous semblable à la pleine lune d'automne, lotus blanc réjouit par la lune , au visage gracieux comme les fleurs nouvellement épanouies, vous qui avez l'éclat de l'or pur et de l'astre des nuits, du diamant et de l'éclair, vous qui avez la démarche d'un éléphant qui joue, vous qui avez le beau port du taureau et du roi des animaux, et du cygne, où irez vous?" Ainsi parla l'écuyer. Et Siddhârtha répondit : "J'irai où je dois aller". Les dieux avaient endormi les gardes de palais; ils en ouvrirent les portes et Siddhârtha Gautama- car tel était aussi son nom- s'en alla et franchit les frontières du royaume.
Il entra dans les forêts. Il coupa sa longue chevelure et la lança vers le ciel où les dieux la recueillirent. Il vit un chasseur sauvage vêtu de haillons ( c'était un dieux déguisé), et troqua ses fins habits de Bénarès contre de la surface de cette terre l'éclatant prince Siddhârtha, pour faire place au moine Gautama, l'anachorète sylvestre, celui qu'on nomma désormais " l'ascète des Çakya", Çakyamouni.
Il écouta les leçons de nombreux maîtres brahmanes, visita des capitales, demanda l'aumône comme le font tous les bonzes depuis que le monde est monde, pratiqua les méditations du yoga. Mais ne s'attacha à aucune doctrine pensant trouver la voie de la paix intellectuelle dans le jeune presque total et les austérités les plus épuisantes. Six années durant, il vécut aux environs d'Urulevâ, assis les jambes croisées, immobiles, tel que nous le voyons représenté des milliers de fois dans les monuments de pierre ou les statues de chair sur le bord des routes de l'Asie. Il devint semblable à un squelette et les dieux eurent peur pour sa vie. Alors le bodhisattva comprit que la mécanique de l'ascèse ne le conduirait point au salut. Renonçant aux macérations exagérées, il prit le riz et le lait que lui offrait une jeune fille d'un proche village, se baigna dans la rivière, puis se dirigea vers Bodh Gayâ, où se dressait l'Arbre de la Science et de la Sgesse, le figuier sacré, le Bodhi. "Il s'assit au pied de l'Arbre sur une poignée d'herbes, fraîchement fauchées qui recouvrait un siège, et se plongea dans la méditation suprême d'où devait sortir le salut du monde."
Mâra, le Mauvais, qui est une forme de Kâma, dieu de l'amour et de la mort, se leva contre lui. Il lui apparut d'abord sous la forme d'un messager qui vint prier le bodhisattva de rétablir l'ordre et la paix dans son royaume. Mais le Maître savait qu'il est plus important d'être bon que de faire ce qui est bon, et il refusa d'intervention. Mâra lança ensuite contre lui des tempêtes de pluie et de feu, des pierres, des montagnes, du sable brûlant, mais tous ces projectiles se transformaient en fleurs célestes et venaient tomber aux pieds du méditant. Le Mauvais prétendit alors s'emparer du siège de la Sagesse pour lui-même, mais le boddhisattva étendit la main pour le séduire : la Soif des Sens, la Concupiscence et la Passion. Elles chantaient : "Amis réjouissons-nous. Voici venir la plus belle, la plus charmante saison, la saison du printemps, qui, qui fait la joie des femmes et des hommes, où tout est remplit d'oiseaux. Vois ces arbres fleuris avec leurs jeunes rameaux sur lesquels chantent les kokila et bourdonnent les abeilles. Sur la terre où pousse un gazon vert, moelleux, gras et épais, dans les bois fréquentés par la multitude des fées, viens te livrer au plaisir... Ton corps est un beau corps gracieux, et nous sommes faites pour donner du plaisir aux dieux et aux hommes. Lève-toi promptement, jouis de la belle jeunesse... Regarde-les Seigneur, elles sont aimables et ne rêvent qu'à être aimées. Regarde, Seigneur, leurs seins fermes, élèves et arrondis, ces trois plis charmants à leur taille, leurs hanches larges au gracieux contour. Leur cuisse est pareille à la trompe de l'éléphant, leur bras disparaît sous les bracelets, leur taille est ornée d'une éclatante ceinture. Regarde-les, Seigneur, elles ont l'allures du cygne et parlent avec grâce le langage de l'amour qui va au coeur. Et , de plus, elles sont très savantes dans les voluptés divines..."
Le boddhisattva triompha cependant de leur luxure et il changea les belles en trois vieilles harpies. Il concentra sa pensée sur la douleur universelle et le moyen de l'abolir. "Son regard embrassa l'ensemble de l'univers. Il vit le cycle sans fin des renaissances se déroulant à l'infini, depuis le monde infernal et le monde des animaux jusqu'aux dieux eux mêmes, à travers le temps éternel. Et toute naissance, toute vie, toute mort était douleur..."
"Alors le boddhisattva, avec sa pensée ainsi recueillie, complètement pure, à la dernière veille de la nuit, quand paraît l'aurore, au moment où l'on bat le tambour, parvint à la possession de la suprême sagesse"... "Remontant la chaîne des causes, il découvrit que la cause de la douleur universelle est la soif d'existence". Nous n'existons que pour notre moi, nous ne nous appuyons que sur de fausses pensées et sur le monde matériel. Si donc nous supprimons cette soif d'exister en supprimant ses causes intellectuelles, nous supprimerons la douleur.
Telle fut l'Illumination, la Révélation de la Sagesse Parfaite, et l'accession du boddhisattva à l'état de suprême Bouddha.
A cette crise d'âme succédèrent sept semaines
de repos, durant lesquelles il savoura les douceurs de la délivrance.
Il y eut bien un jour un orage effrayant, mais un roi des Serpents,
Muçalinda, le défendit de la tempête, enroulant
son chef contre l'ouragan en développant au-dessus de lui
un capuchon à sept têtes. Ensuite il se leva, partit
vers Bénarès, et "mit en branle la Roue de
la Loi". Arrivé dans cette ville il se rendit au Parc
des Gazelles et y retrouva cinq disciples qui l'avaient abandonné.
Il les convertit et furent appelés depuis les Sermons de
Bénarès.
"Ô moines, disaient, il y a deux extrêmes dont il faut rester éloigner : une vie de plaisirs, cela est bas, ignoble, contraire à l'esprit, indigne et vain. Et une vie de macération :cela est triste, indigne et vain. De ces deux extrêmes, ô moines, le Parfait s'est gardé éloigné, et il a découvert le chemin qui passe au milieu, qui mène au repos, à la science, à l'illumination, au nirvana... Voici, ô moines, la vérité sainte sur la douleur : la naissance, la vieillesse, la maladie, la mort, la séparation d'avec ce qu'on aime sont douleur. Voici d'origine de la douleur : c'est la soif de plaisir, la soif d'existence, la soif d'impermanence. Et voici la vérité sur la suppression de la douleur : c'est l'extinction de cette soif par l'anéantissement du désir".
Il dit aussi : "Faire un peu de bien vaut mieux que d'accomplir des oeuvres difficiles. Si on voulait comprendre combien est grand le fruit des aumônes on ne mangerait pas sa dernière bouchée de nourriture avant d'en avoir donné. L'homme parfait n'est rien s'il ne se répand en bienfaits sur les créatures, s'il ne console pas les abandonnés. La voie du salut est ouverte à tous. Anéantissez vos passions comme l'éléphants renverse une hutte de roseaux, mais sachez que celui-là se trompe qui croit pouvoir fuir ses passions en s'établissant dans l'asile des ermitages. Le seul remède contre le mal, c'est la saine réalité".
Le Bouddha reprit ensuite sa vie errante. Il allait de village en village, prêchant et faisant des miracles. Des envieux lâchèrent un jour contre lui un éléphant furieux et enivré d'alcool; mais l'animal, en présence du Bienheureux, s'agenouille et l'adore. Un singe vint lui présenter un bol de miel. Le Bouddha ayant accepté d'un coeur touché cette offrande. Le singe fait une telle gambade qu'il se tue et renaît aussitôt dans le corps d'un saint. N'ayant rien d'autre à donner, un enfant pauvre tendit au Bouddha une poignée de poussière. Il mérite ainsi de reparaître sur la terre en la personne du grand roi hindou : Asoka.
Gautama Çakyamouni disait encore :
Il retourna à Kapilvastu et revit sa famille, mais il y
demeura en moine et mendia sa nourriture aux portes. Revenu à
Çravasti, dans le royaume de Kosala, où il établit
sa résidence, le Bouddha y accomplit le Grand Miracle.
Le roi de ce pays ayant organisé un tournoi de prodiges
entre ascètes, on le vit ce jour-là s'élever
dans les airs; "il atteignit la région de la lumière
et n'y fut pas plutôt que des lueurs multicolores s'échappèrent
de son corps". Peu après on l'aperçut assis
sur un lotus créé par les rois Naga.
Brama était
à sa droite, Indra à sa gauche, et le ciel se remplit
de lotus en ombre incalculable, contenant chacun Un Bouddha magique,
tout semblable à Çakyakmuoni lui-même.
Il admit plus tard les femmes dans son ordre, mais à regret.
Il continua de faire le bien et de répandre le doux enseignement
de son évangile pendant plus de quarante années.
Enfin, devenu très vieux et sentant approcher sa fin, il
remonta vers le nord pour revoir les monastères qu'il avait
fondés." Je suis vieux", dit-il à son
disciple Ananda, le seul qu'il eût autorisé à
le suivre, " je suis un vieillard parvenu au bout de sa route.
Soyez donc vos propres lampes, ô Ananda. Soyez votre propre
refuge. Attachez-vous à la lampe de la vérité".
Il fit préparer son lit de mort sur le bord de la rivière
Hiranyavati, dans un bosquet de sala, entre deux arbres jumeaux
qui se couvrirent aussitôt de fleurs. "Ô Anada,
ne gémis pas, dit-il, ne te désespère pas.
De tout ce que l'homme aime il faut qu'il se sépare. Comment
sera-t-il possible, alors que toutes choses nées et organisées
contiennent en elles la nécessité de la dissolution,
comment sera-t-il possible qu'un être de cette sorte ne
tombât point en dissolution? Il ne saurait en être
autrement." Et il répéta : "En vérité,
ô disciples, je vous le dis, tout ce qui est créé
est périssable. Luttez sans relâche". Telles
furent ses dernières paroles.
"Son esprit, dit un catéchisme bouddhique, s'enfonça
dans les profondeurs de l'absorption mythique, et lorsqu'il eut
atteint ce degré où toute pensée, toute notion
s'éteint, où la conscience de l'individualité
cesse, il entra dans le suprême Nirvana."
"Devant la porte de Kuçinagara, qui s'ouvre sur l'Orient,
les nobles des Malla brûlèrent le corps du Bouddha
avec des honneurs royaux."
"En parfaite
joie nous vivons, nous à qui rien n'appartient.
En parfaite joie nous vivons, sans ennemis dans le monde de l'inimitié.
La gaîeté est notre nourriture, comme aux dieux rayonnants".