Riz de montagne, riz flottant et rizière...
Selon un ancien calcul d'expert, le riz fournit 7 300 000 calories à l'hectare, le blé 1.500.000 seulement : La supériorité de la rizière et son succès dans les régions à haute densité de population s'expliquent par les chiffres!
La culture du riz est plus récente que celle du blé : les civilisations du blé remontent au Véme millénaire, celles du riz n'apparaissent pas avant le IIIéme millénaire avant J.C.
Originaire de l'Asie Centrale, le riz est une graminée poussant en terrain sec : ce n'est qu'à la suite de sélections qu'elle se transformera en plante semi-aquatique, ce qui lui vaudra son haut rendement et son adaptation idéale aux terres tropicales humides.
Le riz originel, cultivé à sec, appelé aussi riz de montagne, exige un labeur épuisant pour de faibles rendements. Il est encore cultivé au Laos.
Autrefois une espèce insolite de riz, le riz flottant,
poussait de façon endémique sur le Grand Lac ou
Tonlé Sap : Il s'agit d'une graminée
qui a l'étonnante propriété de produire des
tiges capables de s'allonger de 10 cm par jour et d'atteindre
des longueurs de 10 mètres. C'est une adaptation très
spécifique au biotope du Grand Lac, capable de différences
de niveau de plus de douze mètres (un explorateur chinois
du XIIIéme siècle parlait de dénivellations
de 24 à 28 mètres, preuve du phénomène
d'envasement progressif que subit le Grand Lac).
Ce riz flottant était moissonné à l'aide
de pirogues, en frappant les épis sur les bordés
de façon à faire choir le grain dans les embarcations.
D'abord sauvage, ce riz flottant fut progressivement cultivé et semé intentionnellement : partie de la simple cueillette, la population du Grand Lac inventait l'agriculture. Mais c'est aux marchands indiens que revient le mérite d'avoir introduit le riz semi-aquatique, la rizière et la riziculture en Asie du Sud Est et c'est à l'époque du FOUNAN (delta du Mékong) que se développent les techniques d'irrigation nécessaires à cette culture.
Le riz de rizière, connu en Inde dés le 2éme millénaire, nécessite des conditions rigoureuses pour parvenir à maturité. Lorsque ces conditions matérielles sont remplies, cette graminée peut se contenter de terres médiocres sans que sa productivité ni sa qualité ne baissent.
Ce riz a besoin d'une grande quantité d'eau : ses racines doivent baigner dans la nappe liquide. Pas question d'eau stagnante car le besoin en oxygène de cette plante est tel que seule une eau sans cesse renouvelée peut lui convenir. Il faut recourir à des techniques hydrauliques complexes pour réaliser cette circulation imperceptible de l'eau nécessaire à la rizière.
Les semis sont faits dans des rizières appropriées, toujours inondées, puis repiqués dans des rizières de production couvrant dix fois la surface des pépinières.
L'obtention de plusieurs récoltes par an exige une organisation rigoureuse du travail, une grande régularité météorologique et une parfaite maîtrise des conditions hydrologiques : cinq mois sont nécessaires entre les semailles et la moisson.
Au Cambodge, les pluies amenées par les vents du sud-ouest,
ne se produisent qu'entre les mois de juillet et d'octobre : quatre
petits mois suivis de huit mois de sécheresse et de hautes
températures. De telles conditions ne permettent qu'une
seule récolte annuelle de riz, sauf irrigation intensive
et organisation rigoureuse.
De plus, le Cambodge est affecté d'une "petite saison séche" au mois d'août.
Périodiquement cet aléa climatique pertube les rendements..
Première récolte | Deuxième récolte | Troisième récolte
Semailles | mai | mi-septembre | fin décembre
| Repiquage | fin juin | début novembre | février
| Moisson | fin octobre | fin janvier | fin mai
| |
La première récolte exige au moins 1 mois ½
d'ensoleillement après la mousson pour amener le riz à
maturité. Or, la mousson se termine en octobre.
La seconde récolte exige une rapide mise en eau et préparation
des rizières tout juste moissonnées et une irrigation puisqu'il
ne pleut plus,
La troisième récolte exige de moissonner avant l'arrivée
de la mousson en juin qui coucherait les épis et pourrirait
le grain, et une irrigation constante.
Les débuts de l'irrigation
Durant le IIIéme siècle, époque
du FOUNAN,
des canaux d'amenée d'eau, détournée du Mékong,
et le découpage du terrain en échiquier de parcelles
entourées de diguettes, permettent une première
irrigation qui reste cependant encore très dépendante
des apports en eau de la mousson.
Jayavarman II, fondateur d'Angkor (à Roluos), a sans doute rapporté
de son séjour à la cour des Cailendra à Java,
en Indonésie, certaines techniques hydrauliques appliquées
à l'irrigation des rizières. Plus encore, il avait
appris les conditions sociales et agronomiques nécessaires
pour accroître le nombre de récoltes.
Les rois imposèrent donc une hydraulique sophistiquée au profit
de la ville et du développement de la riziculture en mettant
en place les moyens pour faire plusieurs récoltes par an.
Ces moyens sont, au minimum :
Pour ce qui est des rizières de production, dix fois la
surface des pépinières, les calculs et l'absence
de vestiges de système d'irrigation tant sur le terrain
que dans la mémoire khmère que dans les écrits
des voyageurs de l'époque, laissent à penser qu'elles
étaient traitées de façon traditionnelle,
c'est à dire par une gestion minimum des
reflux des inondations du Grand Lac : rétention de réserve
d'eau à l'aide de barrages de terre comme cela se fait encore de nos jours.
Il est à noter que les essais d'irrigation forcée
à grande échelle faites par les
Khmers rouges, même
sur le site d'Angkor, se sont toutes révélées
être des catastrophes écologiques et économiques.
Outre la bêtise humaine, on peut aussi invoquer le fait que
l'arrivée et la durée de la mousson, le gonflement
du Grand Lac, ne se commandent pas à la mitraillette. Telle
a sans doute été l'intelligence des souverains d'Angkor.
Il se trouve que depuis des siècles le paysan cambodgien,
bien que très attaché à son riz nourricier, ne se fie qu'aux seules pluies,
ne met guère d'intensité dans ses travaux rizicoles,
et ne fait qu'une seule récolte par an.
Le Khmer, fils de la rizière, cultive le riz dans des rizières inondées
par les pluies, "sré vossa", ou en rizière
de saison sèche, "sré pan".
Les rizières couvrent 1,8 à 2 millions d'hectares,
assurant une production moyenne de 2,2 millions de tonne de paddy.
Les ravages de la guerre, les inondations et surtout le manque
de main d'uvre et une mécanisation insuffisante se
font sentir, ainsi le rendement moyen ne dépasse pas 1,3
tonne/ha alors qu'en Thaïlande il s'élève à
4,5 tonnes/ ha.
Le gouvernement, pour augmenter le rendement agricole, a essayé
à partir de 1988 de favoriser les prêts aux paysans
pour l'achat d'engrais et de semences, et a augmenté de
façon conséquente le prix auquel il achète
le kilo de riz.
La révolution angkorienne
La géologie du site d'Angkor permit d'appliquer ces connaissances
dans le respect des traditions religieuses:
Par nature, et unique exemple au monde avec le Laos,
il ne produira pas plus que ce dont il a besoin.
Il repique fin aout pour profiter des pluies de septembre et d'octobre
et laisse faire la nature. Il n'ignore pas l'irrigation mais ne la
pratique pas, comme s'il avait perdu tout souvenir des bienfaits d'une
hydraulique organisée. On peut donc se demander si celle-ci exista un jour...
au moins pour la riziculture.
La richesse d'Angkor provient certainement plus des plaines de Battambang et de
l'ancienne maîtrise des moissons dans le delta du Mékong que de l'irrigation
angkorienne qui n'a laissé aucun atavisme dans la mentalité paysanne.
"L'abandon de l'hydraulique cambodgienne n'eut aucune influence sur
la riziculture cambodgienne qui continua comme par le passé d'exploiter de
façon peu intensive ses rizières inondées par la seule eau tombée
du ciel". (Pierre GOUROU)
Aujourd'hui :
Les rendements restent les plus faibles du monde, et ce n'est pas à cause du climat...
La production reste très faible, et ce n'est pas à cause du manque de terres...
Rizières en Asie du Sud-Est (1969): Importance rizicole de la plaine du Siam Central,
rassemblement des rizières cambodgiennes autour du Grand Lac,
vide du nord du Cambodge et du littoral cambodgien,
occupation encore partielle du delta du Mékong,
importance dégressive de la riziculture dans les plaines du nord de l'Annam,
puis poussière de rizières jusqu'au Viêtnam du sud, immense vide rizicole des
confins du Lâos, du Cambodge et du Viêtnam.
L'agriculture a été décollectivisée
à la fin des années 80, la terre étant peu
à peu rendue aux paysans qui la cultivent, avec la liberté
d'en disposer comme ils l'entendent. Une tradition d'entraide
existe depuis toujours au Cambodge, notamment pour les gros travaux.