Le Cambodge et le riz d'Angkor à nos jours.

Jérôme ROUER, oct 96, juin 97
Source : Riz et civilisation de Pierre Gourou, Fayard, 1984

Riz de montagne, riz flottant et rizière...

Selon un ancien calcul d'expert, le riz fournit 7 300 000 calories à l'hectare, le blé 1.500.000 seulement : La supériorité de la rizière et son succès dans les régions à haute densité de population s'expliquent par les chiffres!

La culture du riz est plus récente que celle du blé : les civilisations du blé remontent au Véme millénaire, celles du riz n'apparaissent pas avant le IIIéme millénaire avant J.C.

Originaire de l'Asie Centrale, le riz est une graminée poussant en terrain sec : ce n'est qu'à la suite de sélections qu'elle se transformera en plante semi-aquatique, ce qui lui vaudra son haut rendement et son adaptation idéale aux terres tropicales humides.

Le riz originel, cultivé à sec, appelé aussi riz de montagne, exige un labeur épuisant pour de faibles rendements. Il est encore cultivé au Laos.

Autrefois une espèce insolite de riz, le riz flottant, poussait de façon endémique sur le Grand Lac ou Tonlé Sap : Il s'agit d'une graminée qui a l'étonnante propriété de produire des tiges capables de s'allonger de 10 cm par jour et d'atteindre des longueurs de 10 mètres. C'est une adaptation très spécifique au biotope du Grand Lac, capable de différences de niveau de plus de douze mètres (un explorateur chinois du XIIIéme siècle parlait de dénivellations de 24 à 28 mètres, preuve du phénomène d'envasement progressif que subit le Grand Lac).
Ce riz flottant était moissonné à l'aide de pirogues, en frappant les épis sur les bordés de façon à faire choir le grain dans les embarcations.

D'abord sauvage, ce riz flottant fut progressivement cultivé et semé intentionnellement : partie de la simple cueillette, la population du Grand Lac inventait l'agriculture. Mais c'est aux marchands indiens que revient le mérite d'avoir introduit le riz semi-aquatique, la rizière et la riziculture en Asie du Sud Est et c'est à l'époque du FOUNAN (delta du Mékong) que se développent les techniques d'irrigation nécessaires à cette culture.

Le riz de rizière, connu en Inde dés le 2éme millénaire, nécessite des conditions rigoureuses pour parvenir à maturité. Lorsque ces conditions matérielles sont remplies, cette graminée peut se contenter de terres médiocres sans que sa productivité ni sa qualité ne baissent.

Ce riz a besoin d'une grande quantité d'eau : ses racines doivent baigner dans la nappe liquide. Pas question d'eau stagnante car le besoin en oxygène de cette plante est tel que seule une eau sans cesse renouvelée peut lui convenir. Il faut recourir à des techniques hydrauliques complexes pour réaliser cette circulation imperceptible de l'eau nécessaire à la rizière.

Les semis sont faits dans des rizières appropriées, toujours inondées, puis repiqués dans des rizières de production couvrant dix fois la surface des pépinières.

L'obtention de plusieurs récoltes par an exige une organisation rigoureuse du travail, une grande régularité météorologique et une parfaite maîtrise des conditions hydrologiques : cinq mois sont nécessaires entre les semailles et la moisson.

Au Cambodge, les pluies amenées par les vents du sud-ouest, ne se produisent qu'entre les mois de juillet et d'octobre : quatre petits mois suivis de huit mois de sécheresse et de hautes températures. De telles conditions ne permettent qu'une seule récolte annuelle de riz, sauf irrigation intensive et organisation rigoureuse.
De plus, le Cambodge est affecté d'une "petite saison séche" au mois d'août. Périodiquement cet aléa climatique pertube les rendements..

Calendrier des possibilités théoriques de riziculture au Cambodge :
Première récolte Deuxième récolte Troisième récolte
Semaillesmaimi-septembrefin décembre
Repiquagefin juin début novembrefévrier
Moissonfin octobrefin janvierfin mai

La première récolte exige au moins 1 mois ½ d'ensoleillement après la mousson pour amener le riz à maturité. Or, la mousson se termine en octobre.
La seconde récolte exige une rapide mise en eau et préparation des rizières tout juste moissonnées et une irrigation puisqu'il ne pleut plus,
La troisième récolte exige de moissonner avant l'arrivée de la mousson en juin qui coucherait les épis et pourrirait le grain, et une irrigation constante.

Les débuts de l'irrigation

Durant le IIIéme siècle, époque du FOUNAN, des canaux d'amenée d'eau, détournée du Mékong, et le découpage du terrain en échiquier de parcelles entourées de diguettes, permettent une première irrigation qui reste cependant encore très dépendante des apports en eau de la mousson.

La révolution angkorienne

Jayavarman II, fondateur d'Angkor (à Roluos), a sans doute rapporté de son séjour à la cour des Cailendra à Java, en Indonésie, certaines techniques hydrauliques appliquées à l'irrigation des rizières. Plus encore, il avait appris les conditions sociales et agronomiques nécessaires pour accroître le nombre de récoltes.
La géologie du site d'Angkor permit d'appliquer ces connaissances dans le respect des traditions religieuses:

Les rois imposèrent donc une hydraulique sophistiquée au profit de la ville et du développement de la riziculture en mettant en place les moyens pour faire plusieurs récoltes par an. Ces moyens sont, au minimum :

Pour ce qui est des rizières de production, dix fois la surface des pépinières, les calculs et l'absence de vestiges de système d'irrigation tant sur le terrain que dans la mémoire khmère que dans les écrits des voyageurs de l'époque, laissent à penser qu'elles étaient traitées de façon traditionnelle, c'est à dire par une gestion minimum des reflux des inondations du Grand Lac : rétention de réserve d'eau à l'aide de barrages de terre comme cela se fait encore de nos jours.

Il est à noter que les essais d'irrigation forcée à grande échelle faites par les Khmers rouges, même sur le site d'Angkor, se sont toutes révélées être des catastrophes écologiques et économiques. Outre la bêtise humaine, on peut aussi invoquer le fait que l'arrivée et la durée de la mousson, le gonflement du Grand Lac, ne se commandent pas à la mitraillette. Telle a sans doute été l'intelligence des souverains d'Angkor.

Il se trouve que depuis des siècles le paysan cambodgien, bien que très attaché à son riz nourricier, ne se fie qu'aux seules pluies, ne met guère d'intensité dans ses travaux rizicoles, et ne fait qu'une seule récolte par an.
Par nature, et unique exemple au monde avec le Laos, il ne produira pas plus que ce dont il a besoin.
Il repique fin aout pour profiter des pluies de septembre et d'octobre et laisse faire la nature. Il n'ignore pas l'irrigation mais ne la pratique pas, comme s'il avait perdu tout souvenir des bienfaits d'une hydraulique organisée. On peut donc se demander si celle-ci exista un jour... au moins pour la riziculture. La richesse d'Angkor provient certainement plus des plaines de Battambang et de l'ancienne maîtrise des moissons dans le delta du Mékong que de l'irrigation angkorienne qui n'a laissé aucun atavisme dans la mentalité paysanne.
"L'abandon de l'hydraulique cambodgienne n'eut aucune influence sur la riziculture cambodgienne qui continua comme par le passé d'exploiter de façon peu intensive ses rizières inondées par la seule eau tombée du ciel". (Pierre GOUROU)

Aujourd'hui :

Le Khmer, fils de la rizière, cultive le riz dans des rizières inondées par les pluies, "sré vossa", ou en rizière de saison sèche, "sré pan".






Les rendements restent les plus faibles du monde, et ce n'est pas à cause du climat...


La production reste très faible, et ce n'est pas à cause du manque de terres...
Rizières en Asie du Sud-Est (1969): Importance rizicole de la plaine du Siam Central, rassemblement des rizières cambodgiennes autour du Grand Lac, vide du nord du Cambodge et du littoral cambodgien, occupation encore partielle du delta du Mékong, importance dégressive de la riziculture dans les plaines du nord de l'Annam, puis poussière de rizières jusqu'au Viêtnam du sud, immense vide rizicole des confins du Lâos, du Cambodge et du Viêtnam.



L'agriculture a été décollectivisée à la fin des années 80, la terre étant peu à peu rendue aux paysans qui la cultivent, avec la liberté d'en disposer comme ils l'entendent. Une tradition d'entraide existe depuis toujours au Cambodge, notamment pour les gros travaux.

Les rizières couvrent 1,8 à 2 millions d'hectares, assurant une production moyenne de 2,2 millions de tonne de paddy.

Les ravages de la guerre, les inondations et surtout le manque de main d'œuvre et une mécanisation insuffisante se font sentir, ainsi le rendement moyen ne dépasse pas 1,3 tonne/ha alors qu'en Thaïlande il s'élève à 4,5 tonnes/ ha.

Le gouvernement, pour augmenter le rendement agricole, a essayé à partir de 1988 de favoriser les prêts aux paysans pour l'achat d'engrais et de semences, et a augmenté de façon conséquente le prix auquel il achète le kilo de riz.