Certains noms sont injustement oubliés de l'histoire.
Ainsi, qui se souvient aujourd'hui que le site
d'Angkor fut découvert par l'explorateur et naturaliste
français Henri Mouhot ?
Parti seul, sans mécénat (à l'exception du soutien moral de la Société Royale de Géographie de Londres)
en 1858, il parcourt de vastes régions du Siam, du Laos et du Cambodge où
il découvre avec stupéfaction
les ruines d'Angkor, endormies sous l'épaisse végétation tropicale.
Fasciné par la beauté de cette ville peuplée de
secrets et de légendes, il se passionne pour le «Versailles» des Khmers.
La revue Le Tour du Monde publie en feuilleton
le récit intégral de sa découverte, enflammant
ainsi l'imagination des lecteurs du Second Empire, avides d'exotisme,
de terres lointaines et de civilisations disparues.
Aucune autre aventure d'explorateur français du 19° siècle
n'eut un tel impact sur l'imagination populaire, à tel point qu'une fois
la population sensibilisée, le gouvernement
fut alerté et devint conscient d'une nécessité : sauvegarder ces ruines grandioses.
Alexandre Henri Mouhot est né à Montbélliard en 1826 de parents peu fortunés.
Dès 18 ans il enseigne le français à Saint-Petersbourg et sillone la Russie
des Tsars, de la Crimée à la Pologne pendant douze ans.
A 30 ans, établi dans l'ile de Jersey, il épouse la fille de Mungo Park,
le plus illustre explorateur britannique de l'époque.
Entre 1858 et 1861, il effectue trois expéditions au Siam et en Indochine.
Il découvre par hasard le site d'Angkor fin novembre 1859.
Il meurt au cours de sa troisième expédition (1860) au Laos en novembre 1861, emporté
par une fièvre, la première qu'il eut connu, à l'âge de 35 ans.
Avant lui, un seul homme à sa connaissance, un missionnaire français, avait
pénétré le coeur du Laos. Il fut le premier français à visiter Luang Prabang, dont
le roi lui donna droit de vie et de mort sur tous ses sujets.
Sa dépouille fut inhumée par les soins de ses compagnons indigènes
dans le village de Ban Phanom (Peunom, à une dizaine de kilomètres de Luang Prabang).
Doudart de Lagrée y éleva un monument en 1867, détruit par un
débordement de la rivière Nam Khan. Pavie le fit reconstruire en 1887 :
"Je m'entendis avec les chefs du village pour la construction
d'un monument durable, et d'une maisonnette pouvant abriter le temps d'un repas,
les visiteurs dont le but serait de venir saluer à sa dernière demeure, le bon voyageur qui,
au Laos, fit le premier aimer le nom français."
Il fut restauré par l'EFEO en 1951 et par la ville de Montbéliard en 1990.
.... Enfin, après trois heures de marche dans un sentier couvert d'un lit profond de poussière et de sable fin
qui traverse une forêt touffue, nous débouchâmes tout à coup sur une belle esplanade pavée d'immenses
pierres bien jointes les unes aux autres, bordée de beaux escaliers qui en occupent toute la largeur et ayant
à chacun de ses quatre angles deux lions sculptés dans le granit.
Les ruines de la province de Battambâng, quoique
splendides, ne peuvent donner une idée de celles-ci, ni même laisser supposer rien qui en approche.
En effet, peut-on s'imaginer tout ce que l'art architectural a peut-être jamais édifié de plus beau, transporté
dans la profondeur de ces forêts, dans un des pays les plus reculés du monde, sauvage, inconnu, désert,
où les traces des animaux sauvages ont effacé celles de l'homme, où ne retentissent guère que le rugissement des tigres,
le cri rauque des éléphants et le brame des cerfs.
Nous mîmes une jounée entière à parcourir ces lieux, et nous marchions de merveille en merveille, dans un état d'extase toujours croissant.
Ah ! que n'ai-je été doué de la plume d'un Chateaubriand ou d'un Lamartine,
ou du pinceau d'un Claude Lorrain, pour faire connaître aux amis des arts
combien sont belles et grandioses ces ruines peut-être incomparables, seuls vestiges d'un peuple qui n'est plus
et dont le nom même, comme celui des grands hommes, artistes et souverains qui l'ont illustré, restera probablement
toujours enfoui sous la poussière et les décombres.
J'ai déjà dit qu'une chaussée traversant un large fossé
revêtu d'un mur de soutènement très épais conduit à la colonnade, qui n'est qu'une entrée,
mais une entrée digue du grand temple. De près, la beauté, le fini et la grandeur des détails
l'emportent de beaucoup encore sur l'effet gracieux du tableau vu de loin et sur celui de ses lignes imposantes.
Lorsqu'au soleil couchant mon ami et moi nous
parcourions lentement la superbe chaussée qui joint la colonnade au temple,
ou qu'assis en face du superbe monument principal, nous considérions, sans nous
lasser jamais ni de les voir ni d'en parier, ces glorieux restes d'une civilisation qui n'est plus,
nous éprouvions au plus haut degré cette sorte de vénération, de saint respect que l'on ressent
auprès des hommes de grand génie ou en présence de leurs créations.
Ce monument, ainsi qu'on peut le voir par le plan général, qui en donnera une idée plus claire que la
description technique la plus détaillée, se compose de deux carrés de galeries concentriques et traversées
à angle droit par des avenues aboutissait à un pavillon central, couronnement de l'édifice, saint des saints,
pour lequel l'architecte religieux semble avoir réservé les détails les plus exquis de son ornementation.
Dans ce tabernacle, une statue de Bouddha, présent du roi actuel de Siam, trône encore, desservie par
de pauvres talapoins dispersés dans la forêt voisine, et attire de loin en loin à ses pieds quelques fidèles
pèlerins. Mais que sont ces dévotions comparées aux solennités d'autrefois, alors que les princes et rois de
l'extrême-orient venaient en personne rendre hommage à la
divinité tutélaire d'un puissant empire ; que des milliers de
prêtres couvraient de leurs processions les gradins et les
terrasses de ce temple immense; que du haut de ses vingt-
quatre coupoles le son des cloches répondait au carillon des
innombrables pagodes de la capitale voisine ; de cette
Ongkor la Grande, dont l'enceinte de quarante kilomètres de
pourtour a pu, certes, contenir autant d'habitants que les
plus peuplées métropoles de l'occident ancien ou moderne !
Extrait 1 : Découverte d'Angkor Vat
(fin du chapitre 17 de Voyages dans les royaumes du Siam du Cambodge et du Laos)
Quatre larges escaliers donnent accès sur cette plateforme.
De l'escalier nord, qui fait face à l'entrée principale, on longe pour se rendre à cette
dernière une chaussée longue de deux cent trente mètres, large de neuf, couverte ou
pavée de larges pierre de grès et soutenue par des murailles excessivement épaisses.
Cette chaussée traverse un fossé d'une grande largeur qui entoure le bâtiment, et dont
le revêtement, qui a trois mètres de hauteur sur un mètre d'épaisseur, est aussi formé
de blocs de concrétions ferrugineuses, à l'exception du dernier rang, qui est en grès,
et dont chaque pierre a l'épaisseur de la muraille.
Epuisés par la chaleur et une marche pénible dans un sable mouvant, nous nous disposions
à nous reposer à l'ombre des grands arbres qui ombragent l'esplanade, lorsque, jetant les yeux
du côté de l'est, je restai frappé de surprise et d'admiration.
Au-delà d'un large espace dégagé de toute végétation forestière s'élève,
s'étend une immense colonnade surmontée d'un faîte voûté et couronnée de
cinq hautes tours. La plus grande surmonte l'entrée, les quatre autres les angles de l'édifice ;
mais toutes sont percées, à leur base, en manière d'arcs triomphaux. Sur l'azur profond du ciel,
sur la verdure intense des forêts de l'arrière-plan de cette solitude,
ces grandes lignes d'une architecture à la fois élégante et majestueuse me semblèrent, au premier abord,
dessiner les contours gigantesques du tombeau de toute une race morte !
Au lieu d'une déception, à mesure que l'on approche, on éprouve une admiration et un plaisir plus
profonds. Ce sont tout d'abord de belles et hautes colonnes carrées, tout d'une seule pièce ;
des portiques, des chapiteaux, des toits arrondis en coupoles ; le tout construit en gros blocs admirablement polis. taillés et sculptés.
A la vue de ce temple, l'esprit se sent écrasé,
l'imagination surpassée ; on regarde, on admire, et, saisi de respect,
on reste silencieux ; car où trouver des paroles pour louer une oeuvre architecturale qui n'a
peut-être pas, qui n'a peut-être jamais eu son équivalent sur le globe.
L'or, les couleurs ont presque totalement disparu de l'édifice, il est vrai ; il n'y reste que des pierres :
mais que ces pierres parlent éloquemment ! Comme elles proclament haut le génie, la force et la patience,
le talent, la richesse et la puissance des «Kmerdôm» ou Cambodgiens d'autrefois !
Qui nous dira le nom de ce Michel-Ange de l'orient qui a conçu une pareille oeuvre, en a coordonné toutes
les parties avec l'art le plus admirable, en a surveil]é l'exécution de la base au faîte, harmonisant l'infini et
la variété des détails avec la grandeur de l'ensemble et qui, non content encore, a semblé chercher
partout des difficultés pour avoir la gloire de les surmonter et de confondre l'entendement des
générations à venir !
Par quelle force mécanique a-t-il soulevé ce nombre prodigieux de blocs énormes jusqu'aux parties
les plus élevées de l'édifice, après les avoir tirés de montagnes éloignées, les avoir polis et sculptés ?
Mais en voyant, d'un côté, l'état de profonde barbarie des Cambodgiens actuels, de l'autre. les
preuves de la civilisation avancée de leurs ancêtres, il m'était impossible de voir dans les premiers
autre chose que les descendants de Vandales, dont la rage s'étàit exercée sur les oeuvres du peuple f
ondateur, et non la postérité de celui-ci.
Que n'aurais-je pas donné pour pouvoir évoquer alors une des ombres de ceux qui reposent sous cette terre,
et écouter l'histoire de leur longue ère de paix suivie sans doute de longs malheurs ! Que de choses n'eût-elle
pas révélées qui resteront toujours ensevelies dans l'oubli !