Lire aussi politesse khmère.
Note de Cambodge Contact :
Aussi étonnant que cela puisse paraître,
le nom de famille est d'introduction récente dans les pays de
l'Asie du Sud-Est... et une certaine confusion règne.
Au Cambodge, le nom de famille précède le prénom et, au vocatif, les deux noms sont utilisés,
Au Laos et en Thaïlande le prénom précède le nom de famille et on utilise le prénom au vocatif,
Au Vietnam, le nom de famille est en premier et le vocatif est le dernier nom.
Les deux noms : Niem trokol (nom de famille), niem khluon (prénom).
On trouve dans un livre d'exercice de la langue khmère,
destiné aux élèves de cours préparatoire
et élémentaire, à l'usage des écoles
primaires du Royaume, dans un chapitre intitulé : la Famille,
l'explication du nom de famille, Niem trokol. Il y est dit
que chaque membre de la famille a deux noms :
- Le premier, Niem trokol, le nom
de famille est commun à tous. Il leur vient de l'ancêtre
paternel :.
- Le deuxième est un nom propre à l'individu,
le prénom, niem khluon.
Des explications de cette
sorte laissent comprendre que cette pratique est étrangère
aux habitudes du pays. Dès l'école primaire, création
de l'Administration, on a espéré inculquer ces notions
aux jeunes enfants mais les faits observés à Lovéa
montrent que rien n'est fait dans ce domaine.
Il était possible de noter que chaque fois que les villageois
donnaient leur nom, celui-ci était invariablement composé
de deux éléments. Est-ce une ancienne habitude ou
bien une concession aux " desiderata " des Autorités
? Il ne nous est pas possible de trancher sur ce point. Spontanément,
le nom fourni est composé mais, ainsi que nous le disions
plus haut, il paraît y avoir indétermination dans
le choix du premier élément, censé représenter
le nom de famille.
On peut comprendre l'embarras des villageois pour donner le nom
" correct " à une demande officielle ; une grande
variété de noms s'offrent à eux, peu familiers
d'un système venu de l'extérieur. Il n'est pas dépourvu
d'intérêt de voir, lorsque cela est possible, comment
les habitants de Lovéa choisissaient le nom de famille : Parfois,
en dépit du relevé de la généalogie,
il n'a pas été possible de découvrir l'origine
du " nom de famille ".
Une femme, deux fois veuve, donne son propre nom aux deux fils
qu'elle a de son premier mariage. C'est là un cas fréquent.
Dès que le mari a disparu pour cause de mort ou de divorce,
de nombreuses mères donnent le premier de leurs noms à
leurs enfants.
Un homme qui lui, a pris le nom (prénom) de son grand père
alors que d'autres de ses frères portent celui de leur
père, donne à ses propres enfants le nom de son
propre père. Ces enfants porteront donc, comme lui le nom
de leur grand-père.
Un homme portant un nom qui n'est ni celui de ses grands pères,
donne à ses enfants nés de deux mariages successifs
le nom de son père, le grand père paternel des enfants.
Il se conforme peut-être aux désirs des autorités.
Deux frères mariés côte à côte,
par chance et exceptionnellement, portent le même nom. Ce
nom, on le retrouve chez les enfants de l'aîné mais
le Fils du cadet a reçu le nom du grand père paternel
qui, bien sûr, est différent. Cet exemple montre
que l'adoption de la continuité du nom est loin d'être
un fait acquis. Ici, deux frères, appartenant à
la même génération, réagissent de façon
différente a ce problème.
On peut, par ces cas précis, voir que la notion même de nom de famille, telle que nous la concevons et telle que nous nous sommes efforcés de l'imposer au Cambodge, paraît échapper aux villageois.
Un nom qui se perpétue de génération en génération n'existe pas ; tout simplement, ce domaine est régi par d'autres normes. En dépit des efforts déployés par l'Administration pour faire naître cette continuité dans la transmission du nom, continuité nécessaire au fonctionnement d'un État civil valable, nous avons pu constater que ce but n'était ni atteint ni en voie de l'être dans le monde rural.
Sur ce point, comme sur tous les autres, les villageois ne s'élèvent jamais contre les mesures qui sont prises en haut lieu. Ils les accueillent par des : " oui, oui " d'approbation et plus tard, ils essaient encore d'offrir à leur interlocuteur ce qu'on attend d'eux, ce qu'ils sont censés répondre selon les voeux des autorités administratives. Mais le nom est, dans la vie quotidienne, un point si omniprésent qu'il est impossible de donner le change à l'observateur attentif qui, pendant des mois partage leur vie. Après cette première constatation selon laquelle il n'y a pas de " nom de famille ", il est intéressant d'examiner maintenant le prénom, niem khluon, qui a toutes les chances d'être le " seul vrai nom " des Cambodgiens. Nous nous en tiendrons à quelques remarques destinées à faire apparaître que le nom, ce nom personnel n'est pas un domaine " neutre ".
Le choix du nom personnel ou prénom, niem khluon.
Le nom est choisi. Il semble que le fait qu'une partie soit imposée autoritairement de l'extérieur choque la conception que les Cambodgiens ont de celui-ci. De même, il paraît être hors de question d'arrêter son choix sur un nom avant la naissance, comme le cas est fréquent dans notre Société (Y. si c'est un garçon, X. si c'est une fille). Il est nécessaire, semble-t-il, qu'il y ait " adéquation " entre le nom et l'être que l'on accueillera dont on ignore tout jusqu'à la naissance.
Le choix est effectué durant la période " probatoire
" qui commence dès la naissance. Ce n'est, en effet,
que quelques jours plus tard, une semaine environ que l'on impose
le nom (Dak chmô). Durant ce laps de temps neutre, on accueille
cet être inconnu qu'est le bébé.
Les rites, semble-t-il, visent à l'apprivoiser, l'inciter
à rester. Si les signes sont affirmatifs, s'il prend pied
sur cette rive nouvelle (une naissance (l'accouchement) se dit, nous l'avons vu
: traverser le fleuve) alors, et alors seulement, on le socialisera
par un nom choisi avec le plus grand soin.
Un Gouru (krou) qui est aussi astrologue s'occupe de prendre toutes les
garanties. Comment ce nom est-il formé ? Certains éléments
relient-ils cet enfant aux générations antérieures,
à tel ou tel ancêtre ? La forme courte, employée
dans l'usage courant n'est-elle qu'une partie de ce nom comme
pourrait le laisser penser un nom composé de plusieurs
éléments entendu au moment où il était
décerné ? On pourrait penser qu'une partie de ce
nom n'est pas destinée à l'usage extérieur
d'où indétermination dans le choix des noms proposés
selon les circonstances. .
Il semble que si dans les jours qui suivent l'imposition du nom,
si l'enfant manifeste des signes d'inconfort, s'il pleure sans
répit, on puisse être appelé à reconsidérer
ce nom. On pense qu'il ne convient pas et on en attribuera un
autre. Ceci nous amène à considérer les changements
de nom qui peuvent se produire ultérieurement.
Changement de nom.
Le bébé, durant sa toute petite enfance est un être
très fragile, vulnérable qu'il s'agit de protéger
des influences néfastes des " esprits malfaisants ".
Pour tromper ceux-ci, on donne à l'enfant un nom très
malsonnant, évoquant quelque réalité répugnante.
Ainsi, la femme du Mékhum, mon hôtesse, femme de
classe, beau type de mère cambodgienne était connue
sous le nom de tchrou qui signifie porc.
Il en existe bien d'autres : excrément etc. Ce phénomène
est commun à toute la péninsule indochinoise ; on
le trouve au Vietnam et au Laos et chez les Proto-Indochinois,
spécialement les Jaraï.
Peut-être peut-on rapprocher de cette pratique le fait d'appeler parfois un garçon : Sreï qui signifie fille et une fille : Prôh qui signifie, garçon. Tous ces noms ne sont pas très courants mais on en rencontre des exemples à Lovéa et le fait qu'ils existent jette un jour sur les croyances attachées au nom.
Il arrive d'autre part que l'on change de nom plus tard, n'importe quand dans la vie après avoir porté le nom de naissance pendant un certain temps. Cela s'opère après une grave maladie ainsi que cela nous a été signalé pour un villageois ou dans d'autres circonstances (peut-être veut-on par là rompre avec le passé !). On nous a signalé une dizaine de cas de ce genre. Le seul cas où le nouveau nom pouvait ressembler à un sobriquet est celui d'un homme habituellement appelé Prouine qui signifie flèche.
Homonymie.
Dans une communauté humaine aussi importante que celle de Lovéa, il arrive qu'il y ait un grand nombre de noms (forme courte : un seul élément) semblables. Pour éviter tout risque de confusion, on fait généralement suivre ce nom de celui des parents : untel, fils de Ram et de Diep ou plus fréquemment, dans le cas d'un enfant du nom de la mère seule. S'il s'agit d'adulte, on ajoute le nom du conjoint ou bien son statut matrimonial : veuf, veuve. Il serait possible que cette façon de désigner ainsi l'époux ou l'épouse : père ou mère de Yim, par exemple, recouvre une forme un peu atténuée de tabou du nom pour les conjoints.
Initiale formant séries.
Il est un fait qui ne peut manquer ceux qui étudient les
noms de voir que dans de nombreuses familles plusieurs enfants
reçoivent un nom commençant par la même initiale.
Parfois tous les enfants appartiennent à la même
série, parfois quelques-uns seulement.
Voici un exemple, une famille de six enfants :
1. Dyâ (fille) ; 2. Saaem (fille) ; 3. Sioem (garçon) ;
4. Sioet (garçon) ; 5. Sut (garçon) ; 6. Sai (fille).
Il semble que la série se poursuive aussi longtemps qu'elle
semble faste ; survienne un accident, spécialement une
mort, il sera nécessaire de l'interrompre.
Avant d'en terminer avec cette délicate question du nom qui, plus que tout autre, s'est révélée " fluide " et n'a constitué rien moins, nous le constations plus haut, qu'une pierre d'achoppement, nous ajouterons qu'à l'opposé des noms malsonnants, on rencontre aussi des noms fastes tels que : Sambat, richesse ou bien Thlaï, précieux.
Peut-être la réponse aux questions soulevées par les observations qui précèdent donnerait en partie l'explication à la résistance opposée par ce monde khmer à l'établissement d'un vrai état civil et jetterait une clarté sur cet univers culturel.