Mémoires sur les coutumes du Cambodge

Extraits du récit de Tcheou Ta-Kouan (1296)

Texte intégral du Mémoire


LES JOYEUSES ACCOUCHÉES

La nouvelle accouchée fait cuire du riz, le roule dans du sel et se l'applique aux parties sexuelles. Après un jour et une nuit elle le retire. Par là, la grossesse n'a pas de suites fâcheuses et la femme garde l'air d'une jeune fille. [...] On dit aussi que les femmes de ce pays sont très lascives. Un ou deux jours après l'accouchement, elles s'unissent à leur mari. Si le mari ne répond pas à leurs désirs, il est abandonné. Si le mari se trouve appelé par quelque affaire lointaine, cela va bien pour quelques nuits. Mais passé une dizaine de nuits, sa femme ne manque pas de dire : " Je ne suis pas un esprit ,· comment pourrais-je dormir seule ? " Voilà jusqu'où va leur dépravation.

LE BAISER DE LA FEMME SERPENT

J'ai entendu dire qu'à l'intérieur du palais il y avait beaucoup d'endroits merveilleux ; mais les défenses sont très sévères et il est impossible d'y pénétrer.
Dans le palais, il y a une tour d'or au sommet de laquelle couche le roi. Tous les indigènes prétendent que dans la tour il y a l'âme d'un serpent à neuf têtes, maître du sol de tout le royaume. Il apparaît toutes les nuits sous la forme d'une femme. C'est avec lui que le souverain couche d'abord et s'unit.
Même les premières femmes du roi n'oseraient entrer. Il sort à la deuxième veille, et peut aussitôt dormir avec ses femmes et concubines. Si, une nuit, l'âme de ce serpent n'apparaît pas, c'est que le moment de la mort du roi est venu.

EPOUSES ET CONCUBINES

Les habitants sont grossiers et très noirs. [...] Il faut arriver jusqu'aux personnes du palais et aux femmes des maisons nobles pour en trouver beaucoup de blanches comme le jade, ce qui doit venir de ce qu'elles ne voient jamais les rayons du soleil. En général, les femmes comme les hommes ne portent qu'un morceau d'étoffe qui leur entoure les reins, laissent découverte leur poitrine blanche comme le lait, se font un chignon et vont nu-pieds ; il en est ainsi même pour les épouses du souverain. Le souverain a cinq épouses, une de l'appartement privé proprement dit, et quatre pour les quatre points cardinaux. Quant aux concubines et aux filles du Palais, j'ai entendu parler d'un chiffre de trois mille à cinq mille, divisées en plusieurs classes, mais elles franchissent rarement leur seuil. Pour moi, Chaque fois que je pénétrai au palais, je vis le prince sortir avec sa première épouse et s'asseoir à la fenêtre d'or de l'appartement privé. [...] Dans ce pays, il y a de nombreux mignons qui tous les jours errent par groupes de plus de dix sur la place du marché. Constamment, ils cherchent à attirer des Chinois, contre de riches cadeaux.
C'est hideux, c'est indigne.

LE BONZE ET LES VIERGES

Les parents qui ont une fille font en général cette prière : " Puisses-tu être désirée par les hommes ! Puissent cent et mille époux te demander en mariage ! " (PELLIOT écrivit dans sa première version: "Puisses tu dans l'avenir devenir la femme de cent et de mille maris" . On peut penser qu'il avait déjà expurgé le texte original). Entre sept et neuf ans pour les filles riches, pour les pauvres parfois pas avant onze ans, on charge un prêtre bouddhiste ou taoïste de les déflorer. [...] J'ai entendu dire que, le moment venu, le bonze entre dans l'appartement avec la jeune fille ; il la déflore avec sa main et trempe ensuite sa main dans du vin.
On dit que le père et la mère, les parents et les voisins s'en marquent ensuite tous le front ; on dit aussi qu'ils le goûtent. Les uns prétendent encore que le bonze s'unit réellement à la jeune fille, les autres que non. C'est que les Chinois ne sont pas facile ment témoins de ces choses ; aussi n'en sait-on pas l'exacte vérité. Quand le jour va poindre, on reconduit le bonze avec palanquins, parasols et musique. Il faut ensuite racheter la jeune fille au bonze par des présents d'étoffes et de soieries ; sinon, elle serait à jamais sa propriété et ne pourrait épouser personne d'autre.