D'après "La vie du Paysan khmer ", Commission des Moeurs et Coutumes du Cambodge, 1950.
Notre personnage est un novice âgé d'une quinzaine
d'années et nous sommes en 1945.
Levé avant le soleil, il procède à ses ablutions, revêt un vieux pagne, pique trois baguettes d'encens allumées devant l'image du Bouddha située à la tête de sa couche, s'accroupit, mains jointes, et récite les trois stances de salutations de Bouddha, à la Loi et au Clergé, se prosternant jusqu'au sol à la fin de chaque séance. Ceci fait, il récite les paroles de consécration des offrandes puis les éloges des bienfaits du Bouddha, de la Loi et du Clergé.
Le soleil est apparu et les novices font cuire à la hâte un potage de riz dont chacun prend un petit bol avant de se préparer pour la quête. Puis ils vont se baigner au fleuve, tandis que les moines se douchent avec l'eau des grandes jarres près de leurs cellules, et que le Supérieur se lave dans sa cellule même. En s'habillant, le novice pense que son vêtement de nature neutre touche un corps qui pourrira, que ce n'est qu'une protection. Puis il place en bandoulière la bande d'étoffe soutenant le bol à aumône qu'il tient devant soi en récitant une formule pâlie qui doit l'aider à dompter son être.
Vers huit heures, tous les bonzes sont réunis devant le monastère sous un manguier et, deux par deux, ils se confessent. Après quoi, ils se mettent en file, rangés suivant leur ancienneté dans les ordres. Ils avancent lentement, les yeux fixés devant eux à une distance égale à celle d'un timon de charrette; ils vont en silence et en souhaitant que tous les êtres vivent dans le bonheur, l'innocence du péché, la sérénité.
Le novice en s'arrêtant devant une maison récite une formule d'apaisement et, quand apparaît une personne pour donner le riz, une autre formule pour anéantir le péché de convoitise, puis quand on lui verse la nourriture, se disant encore que la seule fin des aliments reçus en don est de le faire subsister. Le village a une vingtaine de maison et le novice rentre à la pagode, toujours récitant intérieurement des paroles saintes.
De retour dans sa cellule, il dépose la sébile, change de vêtements et rejoint les autres novices pour faire cuire le repas, car le produit de la quête est insuffisant; et ce n'est pas le Vossà, où les fidèles à tour de rôle viennent remplir cette tâche.
La cloche résonne à onze heures. Les novices apportent les mets au réfectoire qui est un petit bâtiment bas, car le plancher n'est qu'à cinquante centimètres du sol, en bois et couvert de tuiles. Ils disposent les plats en deux principaux groupes, l'un pour les moines, l'autre pour les novices; le chef du monastère mange seul, près de l'escalier. Une table basse est posée sur la natte et près d'elle une coupe en cuivre où flottent des fleurs de jasmin. Quand tous sont réunis, on s'assied, à commencer par les plus jeunes en Vossà qui attendent en méditant que chacun ait pris place. Le repas est pris en silence, chacun devant s'efforcer de méditer. Le chef de la pagode ayant terminé s'assure que personne ne mange plus, puis récite les paroles de propagation des mérites, que tous reprennent en cur. D'autres paroles saintes sont récitées avant de quitter le réfectoire. Chacun a reversé un peu de sa part pour les écoliers qui vivent à la pagode et qui viennent à leur tour manger, sévèrement surveillés par un novice.
C'est l'heure de la sieste et du silence. Quand elle est terminée, le novice se brosse les dents et se lave le visage, puis se rend sous le grand manguier qui se trouve au Nord du temple, pour attendre avec ses cinq congénères les ordres du chef. Sauf autorisation de celui-ci, moines et novices doivent travailler. Ils scient, rabotent et transportent le bois pour la réparation des cellules, avivent à la teinture de cur de jacquier les vêtements qu'ils ont lavés. Certains travaux sont distribués en guise de pénitence: chercher au fleuve l'eau et la transporter jusqu'aux jarres, laver les crachoirs, nettoyer les planchers, les cabinets d'aisance...
Vers cinq heures du soir, tous les novices descendent la berge pour se baigner dans le fleuve, puis il vont prendre le thé dans la cellule du chef du monastère qui le leur a lui-même préparé. Les moines restent de leur côté. Un novice verse leur thé, distribue le sucre; le chef a ajouté des caramels, des jus de canne et d'oranges donnés par les fidèles, du tabac avec des feuilles de bananier séchées pour l'enrouler en cigarettes. Chacun médite en buvant comme il fait au cours du déjeuner.
Quelques instants de liberté suivent, terminés vers sept heures par la cloche qui ramène tout le monde chez le chef de pagode. La demeure de celui-ci est divisée en deux : l'arrière lui sert de chambre, l'avant est aménagé en lieu de culte, avec des consoles supportant des statues du Bouddha, des offrandes et des fleurs, des armoires contenant des statuettes d'argent ou d'or offertes par les fidèles, et le grand porte-lumière où l'on fixe les bougies. Notre novice se hâte, car il a peur d'avoir en punition quelque tâche désagréable. On s'assied par ancienneté de Vossà, les plus jeunes en arrière. Le chef est seul devant eux sur une natte. Il allume des bougies et des baguettes d'encens devant la statue du Bouddha, tous les bonzes se lèvent et, debout les pieds joints, mains jointes à hauteur de la poitrine, ils regardent avec respect l'image. Le chef de pagode s'agenouille et se prosterne jusqu'à terre, imité par les moines, et tous entonnent les stances de salutation aux Trois Joyaux et les paroles de consécrations des offrandes, et enfin les éloges des bienfaits du Bouddha.
Alors les bonzes retournent chacun dans son kôt pour les études et méditations qui se prolongent jusqu'au milieu de la nuit. Un nouveau bain est pris, et le novice allume trois baguettes d'encens auprès de la tête de sa couche, et salue le Bouddha.