Les tribus du Cambodge...

Etude extraite de Anthropologie des Cambodgiens du dr Olivier, EFEO.
Ajouts et mise en page de Jérôme ROUER.


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Principales tribus :

Nord-est Nord Nord-ouest OuestSud
Kravet Kouys Samré (les tatoués)Péars (ou Porrs)Saoch
Braos
Krûng
Tampuan
Mnong
Stieng
Jaraï



Chaque tribu ne compte tout au plus que quelques milliers de membres, et le plus souvent quelques centaines. Ces peuples sont en voie d'assimilation totale... Mais "la présence de ces primitifs sur le territoire, à côté des Khmers et de minorités de type nettement mongolique (Chinois, Vietnamiens) est capitale pour la compréhension du peuplement du Cambodge" (Dr Olivier)


- LES PRIMITIFS DU NORD-EST

Du nord-ouest au sud-est, on trouve les tribus suivantes :
- les Kravet, ou Corvet, ou Khrêk, qui débordent sur le Laos au nord et seraient racialement à part, sans doute proches des Khas du Laos ;
- les Braos, ou Préous, mêlés avec les Krûng, habitant la zone frontalière Cambodge-Laos-Vietnam ; On en trouve à Stung-Treng et dans le
Ratanakiri.
Anthropologiquement ils sont très près des Pears et des Samrès, donc des Khmers.
- les Tampuans, groupés autour de la ville de Bakéo;
- les Mnongs (ou Pnongs proprement dits), à ne pas confondre avec les Muongs, qui débordent sur le Viêt-nam, ni avec les Khmers-leu en général.

Ils existe deux autres groupes importants : les Stiengs, qui sont au sud des Mnongs, de part et d'autre de la frontière, et surtout le grand peuple des Djaraï, situés à l'est des groupes précédents, mais qui tend à s'étendre à l'ouest, donc à quitter le Viêt-nam pour s'infiltrer au Cambodge ; ils ont subi une nette influence des Chams historiques. Il y a assurément des Djaraïs cambodgiens, mais dans une région si peu peuplée qu'on ne peut raisonnablement pas les introduire dans l'énumération des populations du Cambodge : il est déjà assez difficile de s'y reconnaître entre les différentes autres tribus.

2. - LES PRIMITIFS DU NORD

Ce sont les Kouys, terme qui signifie " hommes ", donc " hommes libres ". Ils habitent un triangle situé au nord de Kompong Thom et débordent sur la frontière thaïlandaise ; au Siam on les appelle Souys, prononciation thaïe de leur nom, et on retrouve de ces Souys au sud du Laos (Pour BARADAT, Souy signifie " tribu " et, par extension, esclave).
Physiquement, les Kouys ressemblent beaucoup aux Khmers, avec des traits légérement plus fins et moins mongoliques.
Leur niveau culturel est plus avancé que celui des autres ethnies primitives ; ils connaissent l'utilisation des métaux, ils savent extraire le fer et l'or et ont été historiquement les forgerons du Cambodge.

Une légende fait des Kouys les descendants de soldats laotiens capturés et libérés au nord de Kompong Thom, d'où leur dialecte mêlé de Khmer et de Laotien. En réalité, il est possible que la poussée thaïe ait conduit des Thaïs Lao à se mêler à des Kouys.

Par ailleurs, les Kouys ont été adoptés autrefois par les Khmers et encore maintenant beaucoup se khmérisent volontiers : on ne les reconnaît guère qu'à leur accent. Des villages autrefois habités par les Kouys ont adopté le mode de vie des Khmers - et depuis les habitants assurent qu'ils sont Khmers !

3. - LES PRIMITIFS DU NORD-OUEST

Ce sont les Samrês (" tatoués")qui, avec les Pears sont les véritables primitifs Proto-Indochinois du Cambodge.

Ce groupe ethnique est à la fois voisin et distant des Khmers : peau très foncée, très légèrement brachycéphales, plus forte proportion du groupe sanguin B.
On trouverait encore des Samrês au nord de Siemréap, au pied des Monts Koulen ; un autre îlot se situe au milieu des Kouys (à moins qu'il ne s'agisse d'un groupe de Péars ?). BARADAT écrit textuellement ceci : " L'amalgame dans la race cambodgienne a été plus rapide et plus complet que partout ailleurs. A tel point que, lors de la recherche des représentants de cette race, on se heurte à l'étonnement des gens du cru, unanimes à déclarer que, si leur village était autrefois domaine des Samrés, il y a beau temps que la dernière descendance s'en est éteinte ou réfugiée au pied des Phnom Koulen. La fuite est générale devant l'attribution d'une origine peu estimée ". Plus encore que les Kouys, ils semblent s'être fondus dans le peuple khmer et avoir perdu leur dialecte particulier (voisin de celui des Péars).

Pourtant les Samrês furent autrefois un grand peuple. La légende raconte même que l'un d'eux, nommé POU, jardinier de son état, devint roi des Khmers : c'est le fameux " roi des concombres doux", qui habitait à Bantéay samrês et avait une garde de gens de sa race. La même légende se retrouve en Birmanie et fait sans doute partie du folklore indochinois.

Les Samrês servaient d'esclaves ou de mercenaires ; ils formaient la " main-d'oeuvre qui s'occupait de l'extraction et du transport des grès des Phnom Koulen" ; ils gardaient les éléphants royaux ou assuraient la garde des anciens temples ; ils étaient aussi forgerons, comme les Kouys. Au début du XVII° siècle, " un aventurier de race Samré, qui avait longtemps séjourné en Birmanie, revint parmi les gens de sa race, les persuada qu'il était prédestiné à la couronne et les conduisit à une rébellion stérile "

4. - LES PRIMITIFS DE L'OUEST

Ce sont les Péars, ou Porrs, qui comprennent deux groupes, l'un à l'ouest, entre Pailin et Kranhung, l'autre à l'est, sur le versant septentrional des Cardamones, à l'ouest du village de Rovieng.

Les Péars disent être nettement distincts des Kouys. Leur nom signifie " homme de couleur ". La tradition, confirmée par l'analyse anthropologique, en fait des descendants de Samrês, originaires des environs d'Angkor : le roi du Cambodge leur aurait donné des terrains de chasse dans cette marche-frontière occidentale, où ils se seraient mêlés aux négritoïdes Chongs (ou Chhângs) ; ces derniers ne se trouvent plus guère qu'en territoire thaïlandais, donc plus à l'ouest (et rien ne dit qu'il s'agisse vraiment de Négritos).

Un ambassadeur chinois du XIII° siècle dit qu'il y a au Cambodge deux sortes de sauvages : les uns vivent à l'écart dans les forêts et les montagnes, les autres sont utilisés dans les villes comme esclaves : il s'agit sans doute des différentes tribus primitives. À maintes reprises les Chroniques cambodgiennes rapportent que leurs rois levèrent des mercenaires chez les Péars et les Samrês : ainsi au XVI° siècle, puis au XVIII° siècle (où samrês et Kouys formèrent une armée de 10 000 hommes).

Les esclaves particuliers pouvaient se racheter et devenir " esclaves d'Etat", c'est-à-dire être mis au bas de l'échelle sociale. Ce n'est qu'à la fin du siècle dernier qu'ils furent tous reconnus hommes libres. Tous les primitifs sont actuellement citoyens khmers.

5. - LES PRIMITIFS DU SUD

Dans la presqu'île de Véal Rinh, à l'ouest de la province de Kampot, se trouvent les Saoch'. Selon BARADAT, ils seraient apparentés aux Chong Khnâng Phnom (peuple des collines), qui habitent le versant méridional des Cardamones, au sud du territoire des Péars de l'est. " Saoch' " serait un sobriquet dû à leur peau rugueuse, épaissie par des mycoses : les porteurs de lésions éruptives seraient nommés saoch'. Pour d'autres, ce nom serait une déformation de Souy (ou Kouy) et PAVIE désigne cette tribu sous le nom de Chong ou Souy. Les gens de la région les appellent Kuea prei (les inséparables de la forêt).

Le premier auteur à les avoir signalé est le R.P. GAGELIN en 1830.
Trois ans plus tard, un général siamois en embarqua plusieurs centaines à Chaudoc : conduits en Thaïlande, ils s'installèrent dans le district de Trang où ils forment les Chong Ut (" sauvages de la montagne"), voisins des Ngo (crépus).
Signalons en passant que l'histoire nous révèle un assez grand nombre de cas de " razzias " et de déplacements de villages, dont la répercussion anthropologique est le brassage des populations.

Les Saoch' parlent un dialecte voisin de celui des Péars et Samrês.
La plupart des auteurs en font des veddides de petite taille. Le Docteur TAILLARD les range fermement parmi ces Négritos qu'on retrouve si souvent dans les légendes indochinoises et dont la préhistoire a confirmé l'existence. Les Saoch' seraient donc un des vestiges de la couche de peuplement négritoïde d'autrefois, au même titre que les Mincopis des îles Andamans, les Aetas des îles Luçon, les Semangs (ou Meniks) de Malaisie, les Chông Ut et les Ngos de Thaïlande, les Laïs (" noirs ") de l'île d'Hainan.
Anthropologiquement, ils sont les plus foncés de la péninsule, et une bonne moitié d'entre eux ont les cheveux frisés (mais non crépus).

BARADAT rapporte, en s'amusant, la légende qui fait des Saoch' les descendants d'un Khmer séduit par la reine des Gibbons ; celle-ci l'avait fait enlever et conduire dans la forêt. Elle en eut trois enfants, un garçon, puis deux filles. L'homme (" le grand singe sans poil ") se lassa de cette vie et parvint un jour à s'enfuir avec ses deux aînés. Le peuple des singes tenta vainement de les faire revenir. De dépit, la reine des Gibbons tua son dernier-né et mourut. L'homme resta donc dam un village khmer, mais ses deux enfants ne purent s'habituer à la vie civilisée, ils préferaient la vie dans la jungle ; ils s'unirent et leurs descendants sont les Saoch'.