Jérôme ROUER, nov 96, mai 97
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LE BAYON, début du XIII°,
Dégagement en 1911.
Photo (129 ko)
Temple central de la ville d'Angkor Thom, chef d'oeuvre de Jayavarman VII, c'est un imbroglio architectural qui se situe aux antipodes de la clarté et de la lisibilité d'Angkor Vat. C'est une création complexe, tumultueuse, baroque et grandiose qui ensorcelle et pose de multiples énigmes.
Le sanctuaire central était dédié au Bouddha
dont une très grande statue fut découverte, sous le sanctuaire, en 1933.
Les tours à visages pourraient
représenter le Bodhisattva Lokeçvara étendant
sa protection sur les quatre coins du royaume.
Les bas-reliefs du Bayon, de facture assez fruste et souvent naïve,
sont la seule source pour imaginer les moeurs et conditions de
vie de l'ancien Cambodge.
L'entrée se fait à l'est par une vaste plate-forme
à deux niveaux de 60 m que flanquent deux bassins carrés
de 25 m. et qui conduit à une galerie (130 x 140 m) à
double portique ouverte sur l'extérieur. Le mur aveugle
qui la limite vers l'intérieur est entièrement recouvert
de bas-reliefs à caractère plus populaire et proche
des préoccupations quotidiennes que ceux d'Angkor Vat.
Après une cour pourtournante on tombe sur une seconde galerie
(70 x 80 m), avec bas-reliefs, au sein de laquelle s'entasse une
quantité de constructions.
Au dessus de cette galerie s'élèvent seize tours
sommant les angles et les triples entrées (gopuram) qui
scandent chacune des faces du quadrilatère.
Outre ces seize tours à quatre visages géants, chacun
regardant un des points cardinaux, s'en ajoutent une multitude
d'autres formant comme une forêt, sur laquelle s'élève
l'énorme massif circulaire de la tour centrale fait de chapelles
rayonnantes. Ces chapelles servaient à des cultes familiaux du roi.
Ce gigantesque chaos de pierre est d'un effet bouleversant par
son foisonnement et sa puissance plastique.
Au total le visiteur
peut circuler entre 216 visages qui ne cessent de le regarder
avec bienveillance et de lui montrer sereinement l'horizon. A
noter qu'à chaque instant du jour une tête est éclairée
de face, l'autre est à moitié dans l'ombre, la troisième
plongée dans l'obscurité et la dernière partiellement
éclairée par la lumière qui réapparaît
en un cycle infini.
La tour centrale, énorme, de 25 m de diamètre et
culminant à 42 m, est de plan circulaire et comprend huit
chapelles.
Texte de Guy de Pourtales, 1931:
Le Bayon émerge de la brousse comme un grand rocher sculpté,
à quatre faces géantes. Il en porte quantité
d'autres encore et à mesure que l'on en approche, leur
foule silencieuse se révèle. Au centre, la "montagne"
du lingam, pivot du monde. Chaque bloc en est ciselé, jusqu'au
sommet. Tout autour, un écroulement de galeries, de linteaux,
de colonnes, où la jungle a lutté à bras-le-corps
avec la pierre et l'a toujours vaincue. Les racines se sont glissées
entre les dalles, s'y sont nourries d'une maigre terre, ont jeté
leurs tentacules en tous sens; puis, gonflés de soleil
et de pluie, ces seyants végétaux ont fait éclater
le temple. Toutes les portes, tous les murs, tous les étages,
tous les faîtes sont couronnés de ramure. Il y a
de vraies forêts sur certains édifices. Des arbres
de parc anglais poussent sur des toitures de sanctuaires. Plus
massive était la roche, plus ce reboisement s'est fait
actif.
Mais il semble qu'au fort de son oeuvre de Samson, la jungle ait
voulu sauver des choses. Soudain elle respecte une façade,
encadre une colonnade sans la détruire. Et même,
par endroits, elle cimente de ses lianes puissantes un porche
qui allait s'écrouler, elle jette une béquille pour
soutenir une voûte. Elle retient dans ses bras des piliers
et un entablement qui menaçaient de perdre leur équilibre.
C'est le remords du sauvage devant le civilisé qu'il s'acharne
à détruire. Cet extraordinaire enchevêtrement
d'architecture et de catastrophe botanique, donne à tout
le groupe d'Angkor son beau sens hindou. Une fois de plus, voici
mariés l'instinctif et le réfléchi, art et
nature, vie et mort.