Jayavarman VII : 1181-1201/1218 (?)

Chronologie des rois d'Angkor


Comme pour tout ce qui a trait à l'histoire ancienne du Cambodge, les informations qui nous sont parvenues sur ce souverain, contemporain du roi Philippe Auguste, sont très fragmentaires et difficiles à recouper...
La seule source sérieuse quant au régne de Jayavarman VII reste l'étude de Georges Coedès intitulée : "Un grand roi du Cambodge". Plus accessible est l' "Histoire du Cambodge" de Madeleine GITEAU chez Didier (Paris,1957).


Jérôme ROUER, janv, juin, août 97.

De sang royal par son père et par sa mère, bouddhiste mahayana convaincu, il passa sa jeunesse à guerroyer contre les Chams et ne se préoccupa pas du trône jusqu'à l'âge de cinquante ans. Il laissa même un usurpateur, simple mandarin, régner pendant neuf ans. C'est sous ce régne, en 1177, que la flotte cham, guidée par un chinois, débarqua à Angkor et occupa la ville pendant sept ans.

Jayavarman VII parvint à chasser les Chams et se fit couronner roi en grande pompe en 1181.
Et ce roi de cinquante ans réussit à faire renaître le royaume qui, après la gloire d'Angkor Vat ( temple bâti 60 ans auparavant par l'autre grand roi d'Angkor, Suryavarman II ), avait décliné au point de devenir une colonie cham sous l'effet d'incessantes querelles de succession.

Sous l'influence de sa seconde femme, la princesse Indradevi "qui surpassait par sa science la science des philosophes", Jayavarman VII remplaça le culte du devaraja (le dieu-roi civaïste) par celui du bouddharaja (le Bouddha-roi) et voua un culte particulier au bodhisatva Lokesvara. (les fameux visages des cinquante tours du Bayon seraient ceux de Lokesvara).
C'est un changement d'importance, comparable au geste d'Henri IV abjurant pour conquérir le coeur des parisiens ("Paris vaut bien une messe!"). En effet le peuple était las du brahmanisme qui outre l'injustice sociale leur avait amené la défaite, l'esclavage et la mort... Le bouddhisme mahayana, présent depuis longtemps, était devenue la religion majoritaire en dépit des brahmanes et de l'aristocratie.
Premier roi formellement bouddhiste le roi assura le changement dans la continuité, en faisant coexister les deux traditions sans sectarisme, en réussissant à cumuler le nouveau et l'ancien, en utilisant le bouddhisme mahayana pour sauver le magnifique héritage du brahamanisme.
Lui même ne renia par entièrement le brahmanisme. Il étudiait les livres saints avec le brahmane-maître spirituel Mahaharimikesa.
Si les images de Bouddha prirent dans les temples la place des linga sivaïtes et des statues de Vishnu, les temples-montages subsistèrent, et les représentations mythologiques brahmaniste, telle la scène du barattage de la mer de lait symbolisant l'aspiration à la prospérité du pays restèrent un des thèmes favoris de décoration (Angkor Thom).

La monarchie divine entreprit des oeuvres traduisant la compassion bouddhique du roi pour le peuple. On voit apparaître des tendances, pour ainsi dire, socialistes, humanitaires. Sur les bas reliefs du Bayon, et ailleurs apparaissent pour la première fois des scènes de la vie quotidienne impliquant non plus les dieux mais de simples khmers... Il fit construire 102 hôpitaux, (lire étude sur la stèle de Say Fong au Laos), des routes et des ponts avec 121 gîtes d'étapes.

Jayavarman VII avait la folie de construire. Son oeuvre majeure, le Bayon, fut reprise de nombreuses fois et pas pour de simples travaux de détails..
On lui doit aussi (entre autres):
A Angkor :
- les remparts, les cinq portes et la rénovation d'Angkor Thom,
- Les terrasses dites des Eléphants et du Roi Lépreux,
- Le Prah Khan, vaste monastère dédié à son père qui occupait 97 850 personnes,
- Le Ta Prohm dédié à la mémoire de sa mère (79 365 personnes desservaient ce seul temple),
- Le Neak Pean
- Le Bantéa Kdeï
En province :
- Le Ta Prohm de Tonlé Bati,
- Le Bantéay Chhmar
- Le Vat Nokor

Il s'agit d'une oeuvre considérable, construite en peu d'années et qui dut mobiliser toutes les ressources de la nation; ce qui fit écrire à Geoges Coedés que "le Cambodge fut saigné à blanc par un despote avide de prestige".
C'est à la fois le Louis XIV et la reine Victoria du Cambodge.

La date de sa mort est inconnue. On sait qu'il régnait encore en 1200 et on pense que le recul de la puissance angkorienne à partir de 1220 serait consécutive à sa disparition. On ignore quel est celui de ses fils qui lui succéda.
Vingt cinq ans après sa mort, qui se placerait vers 1218, il y eut une vive réaction civaïste de la part des brahmanes : statues et bas-reliefs bouddhiques furent bûchés ou réaménagés... et les discordes embrasérent à nouveau le pays.

Jayavarman VII a fait renaître pour un certain temps l'ancienne grandeur des khmers. Il est considéré comme le plus grand des rois khmers car il a redressé, pour un temps, un pays en voie de perdition matérielle, culturelle et morale.
On connait ses successeurs jusqu'en 1327. Puis l'histoire d'Angkor entre 1327 et 1432, date de prise de la ville par les Siamois, reste encore totalement inconnue.

Deux siècles après la mort de Jayavarman VII, Angkor était abandonnée.