Angkor, chronique d'une renaissance,

par Maxime Prodromidès, 285 p. , photos, bibliogra phie, Editions Kailash, 1997.

Critique de Cambodge Nouveau


Un livre plein de verve pour conter une histone qui le mérite bien : celle de la redécouverte et de la patiente, interminable, extraordinaire réhabilitation des temples d'Angkor par une série, une galerie pourrait-on dire, de personnages fort divers, depuis les années 1860 :
Henri Mouhot bien sûr,
Louis Delaporte dont les dessins et les moulages ont fait rêver des générations d' enfants et déterminé bien des vocations,
Lucien Fournereau et ses admirables plans aquarellés,
Louis Finot le premier directeur de l'EFEO créée en 1900,
Lunet de la Jonquière, qui passe huit ans à réaliser son "Inventaire descriptif des monuments du Cambodge",
Henri Parmentier, Charles Carpeaux, qui fut le premier à s' installer de façon permanente sur place, à Angkor Thom,
Et voici Pierre Loti qui dort sur une natte, dans une galerie d' Angkor Vat, au pied des bas reliefs, et que les éléphants prêtés par le Roi vont ramener à Phnom Penh.

Parmi tous ces allumés des ruines, il y a eu de forts tempéraments que les savants travaux ne paralysaient pas :
Carpeaux, en 1901 : "'(. . .) il fallait nous voir, descendant en voiture les marches d' Angkor Thom. Quels bonds dans les carrioles ! Quelles galipettes ! Un gros architecte, parti sur le dos, est arrivé sur le ventre (...)".
'(. . .) Angkor Thom au contraire est envahi par une végétation formidable; le Bayon est couvert de banians énormes, dont les racines monstrueuses crèvent les murs les plus épais, effondrent les tours de 25 mètres, éventrent les galeries, tels des poulpes géants ... C'est le réalisation des dessins les plus fantastiques de Gustave Doré". (Charles Carpeaux meurt quelques années après à 33 ans, à Saigon).
Autre figure : Jean Commaille, ancien légionnaire, premier Conservateur d' Angkor, établi dans un total dénuement en face du Bayon. Sa femme, avec pourtant un piano, renonça vite à vivre là. Il s' efforce, avec Henri Parmentier, de rendre les ruines plus "lisibles" de leur donner de l' air, et réalise des débroussaillages en grand. (Il est assassiné en 1916). .

De bons chapitres sont consacrés à des personnages plus connus : Henri Marchal, "élu Khmer parmi les Khmers", Georges Groslier l'"authentique " . . .

C' est l' occasion pour l'auteur de nous conter de façon plaisante et par le menu, avec des documents inédits, 'Banteay Srey et l' affaire Malraux". Comment André Malraux et sa femme Clara, ayant repéré Banteay Srey dans l' inventaire de la Jonquière et surtout dans une description de Parmentier, s'embarquent en octobre 1923; comment ils éveillent aussitôt des soupçons en haut lieu; comment ils arrivent à Siem Reap et manoeuvrent, ignorant qu' on les surveille, pour aller seuls au temple -mais avec quatre lourdes charrettes et de grosses malles chinoises vides- sans éveiller la méfiance de Parmentier ni de Goloubew; comment ils mettent deux jours à arracher à l' angle sud-ouest les dévata convoitées, 600 kilos au total; comment, malgré la surveillance, le vol faillit réussir, et comment Georges Groslier, contournant le Tonle Sap en voiture à grande allure, retrouve le larcin à Kompong Chhnang, le fait saisir quand il accoste à Phnom Penh, et joue un rôle majeur dans l' arrestation de Malraux et la récupération des devata ..

On lira bien sûr avec le plus grand intérêt le chapitre consacré à B.P. Groslier, aux années de guerre -chantiers, obus, rafales, roquettes- ... rendu très présent grâce à ses carnets jusqu' ici inédits.

Un épisode que ce livre aurait pu conter aussi : après l'abandon forcé d'Angkor par ses conservateurs (le 1er mars 1975 !) Jean Boulbet y est retourné à partir de Battambang, en paysan et à dos d'éléphant, traversant une zone entièrement khmère rouge, pour y récupérer des plans et des archives.

Comme dit bien l' auteur, ces gens, chaque jour, côtoyaient les dieux.