LA BIRMANIE ANCIENNE

Photos et carte du royaume de Pagan.
Jérôme ROUER, déc 96, juin, sept 97


Synthèse

Jusqu'à l'arrivée des Chinois , VII° siècle, le peuple Pyu, sous influence indienne occupe le pays.
Vers 850, les Môns prennent le pouvoir.
1044 : début de la civilisation birmane de Pagan
1287 : extinction de cette civilisation.


Le royaume d'influence indienne et bouddhiste des Pyu,
III°-VIII° siècles (basse vallée de l'Irawady)


Les ruines de Prome

Les Pyu, comme leurs cousins birmans, seraient d'origine thibétaine. Dans leur descente de l'Irawady ils repoussèrent les populations locales, les Môn, vers le nord. Ceux-ci les arrêtèrent à Prome.
Vers la fin du VIII° siècle les Môn reprirent leur territoire et cités. Il ne reste que très peu de traces de cette civilisation qui aurait été fondée et dirigée par des brahmanes indiens.
On affirme aujourd'hui que l'aristocratie et les classes dirigeantes étaient hindoues, que le peuple était bouddhiste. Comme en Inde les morts sont incinérés, mais, à la différence des traditions indiennes, les cendres sont stockées dans des urnes funéraires et enterrées.
Peu importantes, les ruines de Prome, 300 km au nord de Rangoon sur le bas-cours de l'Irawady, ont été étudiées en 1907 par le général de Beylié. Prome (Hmawza) serait la ville la plus ancienne de Birmanie.
Au nord de cette ville commençaient les zones de peuplement Môn avec leurs deux capitales, Pegu et Thaton.

De nombreuses légendes sont attachées à la ville de Prome. Pour certains son nom voudrait dire la " Ville de Brahma ", pour d'autres la " Ville de Vishnou ", pour d'autres encore ce serait la " Ville de l'Ermite ", c'est à dire Bouddha soi-même.La légende dit aussi qu'elle a été fondée en 454 avant JC par des rois indiens...

Les recherches de Beyliè lui permettent de conclure que ce fut une ville bouddhiste à partir du VII° siècle et jusqu'au XI°, où elle fut abandonnée au profit de Pagan.

Au VIII° ce royaume est conquis par le royaume chinois limitrophe du Nan-Tchao qui se proclame suzerain en 754.
En 791 les Pyu se soumettent à l'empire de Chine, (les T'angs) : nous avons alors des renseignements d'importance sur ce qui se passe en Birmanie : les annales chinoises confirment que le royaume des Pyu est riche et bouddhiste.

La capitale pyu est prise en 832 par les Chinois du Nan-Tchao qui déportent plus de 3000 habitants. Quelques années plus tard ce sont les belliqueux voisins du sud, les Môns, qui s'emparent de la ville et l'occuperont pendant trois siècles.
Il ne reste pas grand chose de cette civilisation : quelques ruines de stupa, en forme d'obus comme en Inde à la même époque, et des traces d'enceintes et de cimetiéres.

Les royaumes des Môns et la ville disparue de Pegu

Les Mons étaient installés en Birmanie, dans le delta de l'Irrawaddy, au moins depuis le premier siècle après JC. Leur peuplement s'étendait jusqu'à l'actuelle Bangkok (royaume de Dvaravati).
Ils avaient une culture évoluée dont les éléments essentiels étaient empruntés à l'Inde et étaient bouddhistes Theravadin (la légende fait naître et mourir le grand commentateur du Bouddha dans ce royaume, au V° siècle)

Une de leurs capitales, Pegu, connût son apogée au IX°, mais il n'en subsiste aucun vestige important de ce port, à part la pagode de Hti-Saung qui sera ultérieurement reproduite dans le puissant royaume de Pagan. Plus tard, le royaume de Thaton, autre port Môn, prit le dessus.
Les Birmans du nord, vers 1057, absorbèrent ces royaumes pour former la civilisation de Pagan.

La civilisation bouddhique de Pagan : deux siècles de prospérité

Pagan aurait été fondée en 107 par des Birmans (tribus descendues des plateaux sino-thibétains), à 50 kilomètres au sud de la confluence de l'Irawadi et du Chindwin. Cette région connaissait alors un climat favorable aux cultures, ce qui n'est plus le cas.
Majoritairement bouddhistes du Grand Véhicule, une de leurs tribus aurait développé le bouddhisme des
Aris, religion officielle de l'ancienne Pagan. Ces Birmans vénéraient aussi les Nats, équivalents des Neak Ta du Cambodge ou des Phi du Laos.

Vers l'an 1000 une guerre de succession fait apparaître un roi jardinier régicide, l'équivalent du roi jardinier cambodgien "Concombre sucré " (mais ce dernier date de 1350)
En 1044 apparaît le roi de légende Anawratra (dit aussi Anôratha 1044-1077), fondateur du royaume de Pagan. (il est contemporain de deux autres grands rois : Suryavarman I à Angkor et Airlanga à Java)
Anawratra se convertit au bouddhisme du Petit Véhicule et fit une guerre victorieuse aux Môns pour imposer cette religion et faire disparaître la secte des Aris. Il razzie Pégu, en ramène quelques 30.000 esclaves, d'une civilisation bien supérieure à celle de son peuple. Ces prisonniers de guerre construiront Pagan, "la plaine aux milles pagodes", et créeront un vaste réseau d'irrigation à l'Est de la capitale.

Comme dans la civilisation d'Angkor et pour les mêmes raisons, il ne subsiste de Pagan que des édifices religieux. Les habitations des mortels, bâties en matériaux périssable, ont toutes disparu.
Pagan, c'est avant tout, la brusque éclosion d'un art riche, dynamique, aux réalisations innombrables. Pagan plonge ses racines et se nourrit dans la doctrine du Bouddha.
E. Guillon et C. Delachet ont écrit :
"Qu'est-ce que Pagan? Une floraison de temples, de stupas, de pagodes de styles si divers qu'il est difficile d'abord de s'y reconnaître. Fresques, peintures murales sur fond brun, ocre, blanc, aux fines silhouettes et dont les personnages, parfois barbus, ont des yeux de biche. Statues, innombrables statues du Bouddha, squelettique, dodu, tourmenté, souriant, jeûnant, grave. Plaques sculptées aux monstres grimaçants ou aux symboles difficiles, plaques vernissées, corniches, inscriptions sur pierre, sur tablette d'argile.
" Cette soudaine éclosion artistique d'un peu plus de deux siècles englobe plusieurs styles d'architecture.
Le plus vieux style, le style "pyu", émerge çà et là, tels de gros épis de maïs couleur de rouille, plantés là sans raison, sans nom. Quelques-uns sont recouverts d'un bel émail vert d'eau qui devait revêtir jadis sols et figurines. Mais une autre forme, voisine de la première, est plus commune: grand dôme en forme de cloche, surmonté d'une flèche et d'un "parapluie" en métal doré, le stupa dépasse largement les frontières de Pagan. La Birmanie en est recouverte et les Birmans se plaisent à l'appeler leur "style national"".

" D'érection facile, d'entretien aisé, ces stupas sont supposés abriter des reliques, minuscules statuettes de bronze, chapelles de métal, esprits en habit royal, de la taille d'une pièce de jeu d'échecs, A Pagan, le plus célèbre de ces stupas est sans conteste la pagode de Shwezigon où l'on vient tout à la fois vénérer le Bouddha et les trente-sept statues des esprits que l'habile Anawrata aurait, dit-on, intégrés au culte bouddhiste. "

La Birmanie de Pagan nous a laissé deux types de monuments
- Les stupas birmans qui sont des masses architecturales pleines protégeant une chambre scellée qui renferme des reliques saintes.
Dans sa forme la plus élaborée, le stupa birman est une cloche évasée que surmonte un long cône effilé comme une flèche, parfois remplacé par une triple ombrelle en fer forgé (style birman du XIII°). Le corps de la cloche est décoré d'une ceinture de guirlandes ou de têtes de monstre.
- Des temples on l'on vénèrait l'image du Bouddha

Dans la première période de Pagan, ce sont les architectes môns qui se chargent des constructions (en général trois à cinq terrasses carrées ou octogonales, dont la dernière est coiffée d'un stupa en forme de cloche. Escaliers axiaux sur les quatre côtés, peu de lumière à l'intérieur dans le style môn). Puis ils deviendront de forme pyramidale, construits en brique, décorés en stuc, les sanctuaires seront largement ouverts à la lumière, les sculptures se limitant à l'image du Bouddha. Les peintures murales abonderont.

En architecture, l'influence Môn disparaîtra progressivement. C'est vers 1144 qu'apparaîtra un style proprement birman : salles et corridors plus éclairés par de nombreuses fenêtres, utilisation, unique dans la région, de l'arc rayonnant à claveaux pour les voûtes :

"L'emploi de l'arc rayonnant à claveaux, explique le spécialiste de l'art birman Alexander B. Griswold , et non point des assises superposées en encorbellement, comme en Inde et à Angkor, pour enjamber les espaces avec des voûtes, a de quoi surprendre. Bien que familiarisés avec l'arc à claveaux. les Indiens l'utilisaient très rarement, car ils n'aimaient pas son dynamisme ou, pour reprendre leur image, le fait que l'arc "ne dormait jamais ".
"Naturellement, on s'est demandé pourquoi les bâtisseurs de Pagan, si respectueux des conceptions indiennes dans d'autres domaines. Avaient renoncé à les appliquer sur ce plan précis. Certains ont suggéré que l'arc provenait d'une autre source, par exemple de l'Asie centrale ou du monde musulman. Une explication fort séduisante se présente à nous: l'interdit indien aurait été tourné en raison du poids extrêmement lourd des masses de maçonnerie à Pagan; ces conditions auraient permis de ne pas tenir compte des poussées, et rien ne saurait choquer le sentiment indien si on considère ces voûtes comme il faut en vérité les considérer: non pas en tant que moyen de recouvrir d'une toiture un espace, mais comme moyen de renforcer une caverne. Quoi qu'il en soit, il est incontestable que la conservation des monuments de Pagan doit beaucoup à la stabilité de l'arc rayonnant. "

Dès 1174 les fonctionnaires môns, anciennes prises de guerre, sont remplacés par des Birmans. La langue birmane devient la langue officielle, le Bouddhisme therevada triomphe, les constructions de pagode sont innombrables. Comme dans le cas d'Angkor, les rois de Pagan entretiennent un système religieux parasitaire sur le plan économique qui finit par miner le royaume .

En 1254 monte sur le trône le dernier roi birman, roi très pieux qui ne se consacre qu'à la religion. Mais la menace mongole se précise.
En 1287 les Mongols envahissent la Birmanie, "dix mille temples" sont démolis pour fortifier la ville avec les matériaux de récupération. Mais le roi, " fuit devant les Chinois ", sans autre forme de procès. La bataille de Pagan n'aura pas lieu. Les mongols occupent Pagan pendant une dizaine d'années avant que la ville, considérée comme terre de mauvaise augure soit, tout comme Angkor deux siècles plus tard, abandonnée.

On a trouvé les traces de quelques 5 000 monuments disséminées sur quarante km² autour de Pagan. Un petit millier, souvent en ruines, ont survécu.