par Jérôme ROUER.
Légende fondatrice |
Malgré toutes les études savantes, l'origine de la civilisation d'Angkor reste un mystère.
Jusqu'au début du XX° siècle personne, même
pas les Khmers, n'en revendiqua la paternité. Mais, au
cours des temps et suivant la sensibilité des auteurs,
Alexandre le Grand, Trajan, les Juifs de Chine eurent droit à
cet honneur...
La tradition cambodgienne, encore
très fortement ancrée dans les esprits, imputait
la construction des temples aux dieux. Or, avant de devenir un
motif de fierté nationale, cette civilisation fut haïe
au point d'avoir été oubliée.
Les dieux et la civilisation d'Angkor étaient ceux d'une
élite.
Hors les domaines de la conception du pouvoir, de la religion
et des beaux-arts, nous ne savons rien de cette société.
Qui plus est, aucun atavisme du peuple khmer actuel ne permet
de le relier à cette époque.
Socialement, Angkor fut une greffe rejetée. Pourquoi ?
Dès les premiers siècles de notre ère, "une
société indigène avait accepté la
civilisation indienne et s'était donné un gouvernement
de type indien" c'est à dire brahmanique. (texte de G. Coedés)
Les brahmanes indiens, premiers missionnaires dans ces terres
lointaines, prirent femme, contrairement aux règles de
leur ordre. Au cours des siècles cette caste héréditaire
devint de moins en moins indienne et de plus en plus métisse...
Et, vers le X° siècle, eux qui représentaient
le surnaturel auprès des populations et qui en étaient
respectés, s'unirent autour d'un roi, Jayavarman II, qui allait, grâce
à leur influence, soumettre l'ensemble des petits
royaumes locaux pour, finalement, leur donner encore plus de pouvoirs.
Jayavarman II
On ne sait pas qui était Jayavarman II, le fondateur
de la première dynastie angkorienne.
Il serait arrivé au Cambodge depuis l'île de Java, probablement
de la cour des çaïlendra, dont il ramena la culture
et le fameux concept de Dieu-Roi.
Etait-il né là-bas, était-ce un prince du
royaume de Chenla ou de l'ancien
royaume du Founan exilé ou retenu prisonnier ou tout simplement
un aventurier ? On sait seulement qu'au VIII° siècle,
les deux Chen-La, d'eau et de terre, se séparèrent
et que le Founan devînt vassal de Java.
Tout d'abord connu comme roi d'Indrapura (à l'est de Kompong
Cham ?) il fixa sa capitale à Roluos après avoir
rallié ou conquis d'autres royaumes. Puis il se fit sacrer
sur le Phnom Kulen. C'est lors
de ce sacre qu'il renia solennellement toute tutelle de Java.
On sait aussi que son "père spirituel" fut un
brahmane dont la famille resta influente auprès des rois
pendant plusieurs siècles.
Tous les auteurs s'accordent sur l'intrusion d'un pouvoir civilisateur,
ce que l'on appelle aujourd'hui une colonisation. L'idée
première fut qu'elle était indienne, tout comme
pour Pagan en Birmanie.
Mais l'architecture de Pagan est très
éloignée de celle d'Angkor alors qu'il existe d'incontestables
et d'étranges similitudes architecturales entre les temples
de Roluos et les temples javanais de Borobodur et de Prambanan..
Bien d'autres éléments laissent à penser que cette colonisation fut d'origine javano-indienne.
Angkor serait donc l'oeuvre des brahmanes khmèrisés associés à un roi de culture javanaise, le tout formant une union monstrueuse d'autoritarisme que les Khmers chassèrent de leur mémoire collective dès qu'ils le purent.
Hypothèse rapportée par Aymonnier dans sa "Notice sur le Cambodge", 1875
Dans cette terre en formation, appelée dès les temps
les plus reculés la terre des Thelok (Kouk Thelôk),
du nom d'un arbre très commun, au fruit nutritif, le Cambodgien
éleva sa case sur pilotis, sur le bord de son fleuve, près
de son grand Lac, dans les forêts aux fruits délicieux.
(Les forêts au nord d'Angkor ont cette réputation).
Il était répandu également dans la partie
montagneuse qui s'étend au sud entre le fleuve et la mer,
partie, paraît-il, appelée plus spécialement
Kampuchéa, mot que l'on peut décomposer en
race, tribu de Kâm.
Il reste un vestige de cette appellation dans Kâmpôt,
le port actuel du Cambodge.
La tribu de Kâm était peut-être l'une des tribus
primitives habitant depuis longtemps déjà ce pays.
Favorisée, elle aurait pris une grande extension en recevant
la civilisation hindoue bien avant l'introduction du bouddhisme,
et son état primitif pourrait, en partie, être étudié
aujourd'hui sur ses frères peu connus les Kouy et les Sâmrè,
encore fixés sur les hauteurs au nord et au sud du grand
Lac. Quant au nom de Khmer, il aurait été apporté
par les civilisateurs et, selon les Cambodgiens les plus compétents
(si tant est qu'il y en ait), l'expression de Khmer d'om (
khmer de l'origine) ne désignerait pas une tribu quelconque,
de nos jours à demi sauvage, mais le peuple inconnu et
éloigné d'où sortirent ces civilisateurs.
.
Son initiation à cette antique civilisation donna au peuple de Kampuchéa une expansion inouïe, un haut développement artistique attesté par les magnifiques ruines qui couvrent le sol khmer, et par de vagues traditions sur les principaux personnages de cette épopée inconnue..