Jérôme ROUER, oct 96, juin 97.
Lire aussi :
"La littérature et le Cambodge" de G.COEDES |
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Le FEMC, Le Fonds pour l'Edition des Manuscrits du Cambodge |
Sélection de livres sur le Cambodge. |
Avertissement
Encore de nos jours le Cambodge reste un pays et une culture de
tradition orale. Mais l'écriture, réputée
d'essence divine, est une des caractéristiques majeures,
au même titre que les temples, de la culture khmère
: longtemps réservée au pouvoir royal et aux castes religieuses,
elle servit à glorifier le divin et à valoriser
ses représentants sur la terre...
Jusqu'au XX° siècle la pratique de l'écrit relevait du sacré et se trouvait
en conséquence soumise à des régles strictes et à des tabous tant pour
sa fabrication, son utilisation que sa fin. Le support
écrit avait une valeur qui dépassait celle d'un simple moyen de transmission.
Ainsi,le manuscrit devenu illisible n'était pas jeté comme
un objet ordinaire mais bel et bien traité comme une relique, un objet sacré
investi de pouvoirs surnaturels.
Les invasions des siamois (à partir du XVème siècle) ont été des plus désastreuses : les populations étaient déportées en esclavage comme de vils troupeaux et devaient transporter les prises de guerre : statues, mobilier, tout ce qui avait de la valeur... Le reste était saccagé sur place : il ne reste donc pas d'autres traces de textes anciens qu'un bon millier d'épigraphies. (textes sur pierre) en sanscrit ou en khmer ancien, déchiffrables que par quelques rares spécialistes, et quelques bâtiments mystérieux, les kléang, qui ont pu être des bibliothèques...
Le premier texte complet connu est un poëme datant du début du 18 ème siècle.
Les autres textes anciens sont, outre des inscriptions dans le temple d'Angkor Vat,
des assemblages de feuilles de latanier
ou des dépliants de papier, les Kram .
Il ne semble pas que
l'imprimerie ait été utilisée
avant le XXème siècle (1853 en Thaïlande).
Ces premiers documents sont des citations du Tripikata
(Les Trois Corbeilles ou Canon Bouddhique), quelques
édits royaux et de courts textes traitant de recettes de
médecine ou de cosmologie.
Les Annales Royales écrites à Oudong à
la fin du 19 ème siècle sont la première
construction écrite connue. Il s'agit d' "une aride
compilation de dates et de titres royaux sans cesse répétés"
(Aymonnier) que les grands khmèrisants tels Francis
Garnier, Moura, Aymonnier ont essayé d'exploiter, non
sans peine et sans patience...
Ce n'est pas faire injure au pays que de dire qu'il n'existe pas de littérature écrite - hors écrits religieux - et que les premiers romans en khmer datent du milieu du XX ème siècle : la langue se prête mal aux grandes constructions littéraires et quand bien même se serait trouvé un fin lettré pour faire oeuvre philosophique ou scientifique, son lectorat aurait été réduit à l'entourage royal, seuls gens assez riches et instruits pour accéder à son livre. .. Dès 1860 le protectorat français imposa la langue française et ce n'est qu'à partir des années 1990 que les talents khmers purent envisager d'écrire sereinement dans leur langue.
Il existait par contre une abondante littérature orale faite d'épopées, de chansons de gestes, de contes et légendes... dont la connaissance et la transmission populaires ont été détruites par les récentes années de guerres civiles.
Les premières traces d'écriture, venue de l'Inde, datent des premiers siècles de notre ère. La première stèle réellement exploitable date de 611, et donc de l'époque pré-angkorienne. Elle utilise le sanscrit.
Plus d'un millier d'inscriptions sur pierre, textes épigraphiques
écrits en sanscrit ou en vieux khmer, nous instruisent
sur les qualités et vertus des souverains, le rôle
de la religion et surtout sur les richesses affectées aux
temples... Ces inscriptions, qui n'ont rien de littéraire,
ont été particulièrement étudiées
par G. COEDES (Inscriptions du Cambodge, 8 volumes).
Les premiers déchiffrements sont dûs au grand indianiste Auguste Barth
qui publia, en 1855, "Inscriptions sanscrites du Cambodge". Quelques
années plus tard le savant hollandais Hendrik Kern fonde l'épigraphie cambodgienne
en déchiffrant 340 inscriptions recueillies par Etienne Aymonnier.
Ce dernier publie un énorme ouvrage qui fait la somme des connaissances de l'époque.
Ce travail sera poursuivi par Abel Bergaigne et Georges Coedès.
Tche Tchéou TA-KOUAN parle du
grand nombre de livres saints qu'il avait vu à Angkor : "Ils se composent de
feuilles de palmier entassées très régulièrement. Sur ces feuilles, les bonzes
écrivent des caractères noirs, mais comme ils n'emploient ni pinceaux ni encre,
je ne sais avec quoi ils écrivent".( Ces feuilles étaient gravées au stylet et non peintes,
comme le supposait notre chinois.)
Outre ce type de manuscrit religieux, Tche Tchéou TA-KOUAN cite des "écrits ordinaires
et documents officiels toujours inscrits sur des peaux de cerfs ou daim ou matériaux analogues,
qu'on teint en noir".
Après la chute de l'empire d'Angkor (1432), le pâli se substitua progressivement au sanscrit. Les écrits sont l'oeuvre des bonzes, dont les monastères ou Vat servent (toujours) d'école, et traitent des textes sacrés.
Le Protectorat (1863-1952) imposa le français comme langue
officielle mais créa des écoles de pâli et
surtout l'Institut Bouddhique (1930)
dans le but de collecter tous les textes oraux et écrits
du Cambodge et d'en assurer la conservation. A noter que ces textes
sont sans date, ni nom d'auteur.
En 1946 une commission culturelle entrepris la mise à jour
de la langue khmère, surtout pour les terminologies administrative
et scientifique, et l'enrichissement du vocabulaire.
Dès l'indépendance, le khmer est devenu la seule
langue officielle du pays. Mais le français est resté
la langue véhiculaire administrative et littéraire
jusqu'à l'époque khmère rouge.
La poésie en langue française a tenté nombre
de Khmers.
La khmérisation de l'enseignement a commencé en
1960. Pendant la dictature khmère rouge le fait de connaître
une langue étrangère impliquait la mort... sauf
pour les dirigeants naturellement ( pour remercier le Roi de son
amnistie, Ieng Sary, N° 2 de l'ex-régime KR, lui écrit
en français !)
Le plus grand travail sur la littérature khmère
a été entrepris par KHING HOC DY, à partir
des textes conservés en France et avec l'aide des instituts
spécialisés français, dont le Musée
de l'Homme.
En 1978 fut fondé le CEDORECK ( Centre de Documentation
et de Recherche sur la Civilisation khmère ) qui édite
une revue savante, le Seksa khmer.
Sur 57 écrivains du XXéme siècle cités par KHING HOC DY dans sa Contribution à l'histoire de la littérature khmère, 28 ont disparu sous les Khmers rouges... Il faudra encore bien des années pour que renaisse une littérature cambodgienne...
Les contes et légendes se caractérisent par un refus
de l'idéalisme moral, une désafection pour ne pas
dire une répugnance pour la métaphysique et toute
forme d'élan transcendental : cette littérature
est fondamentalement gaie ou sentimentale, les dénouements
toujours heureux, le bon sens paysan et le rationalisme prédominent
en dépit des artifices mystérieux et souvent merveilleux
de l'intrigue...
Le florilège des contes cambodgiens
est remarquable et
permet de mieux percevoir le caractère khmer.
Ces contes traitent
souvent des petites misères de la vie, des embrouilles,
disputes et chicanes entre individus. Les fins sont toujours heureuses
quitte à utiliser des artifices enfantins... L'essentiel
est de faire plaisir à tout le monde. Souvent ces contes
mettent en scène des animaux à la place des hommes.
Le bestiaire comprend le tigre, le lièvre, l'ours, le crapaud,
le corbeau, le crocodile, l'éléphant. Les dieux
et les esprits ont toujours une petite place.
Composés très simplement sous forme de dialogues (il dit ceci, il répondit cela...),
car ils ne sont pas faits pour être lus mais pour être racontés,
ce sont souvent de véritables
satires sociales dans lesquelles le conteur démonte l'avidité
du paysan, sa naïveté devant le fonctionnaire, l'avarice
des richards, l'astuce des femmes pour tromper leur mari....
Beaucoup de légendes khmères, telle le Neang pi ten dop, sorte de Petit Poucet, , Tum et Teav ( Roméo et Juliette ) qui étaient autrefois racontées par les vieux du village à l'ombre des grands arbres du village, sont maintenant totalement perdues, sauf à retrouver une transcription qui aurait été faite du temps du Protectorat...
2-2 Les épopées et chansons de geste
Le Reamker est un poème épique très proche du Ramayana indien quant à l'intrigue, très distant quant à sa coloration : le réalisme pathétique l'emporte sur le divin. ( Le Rayamana chante les exploits de Rama, incarnation du dieu Krishna, dont l'épouse, la belle Sita a été enlevée par un démon et emmenée dans l'île de Ceylan. Grâce à son père Lakshmana et à l'appui de l'armée des singes, Sita est reprise par son mari. )
Les Jakata (histoires saintes sur les vies antérieures du Bouddha) : le Vessantara est un des dix grands Jakata les plus khmèrisés : il raconte, en pâli, l'histoire du roi Preah Vesantar, réincarnation de Bouddha, qui, tout empreint de charité bouddhique fait l'aumône de sa femme et de ses enfants.
KRAM NGOY |
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Lire l'article de Keng Vansak sur ce grand poéte nationaliste khmer.
RIM KIN ( 1911-1959 ) |
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SOPHAT ou les Surprises du Destin
(1938) Editions l'Harmattan.
Grand classique écrit en khmer permettant de découvrir
la société cambodgienne des années 1930 :
rapports sociaux, relations homme-femme, bouddhisme...
En dehors de SOPHAT, RIM KIN a laissé plusieurs recueils de poèmes, des pièces de théâtre, quatorze romans et des traductions dont "Le Cid" de Corneille et "Sans famille" d'Hector Malot.
KHING HOC DY |
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Contribution à l'histoire de la littérature khmère
(2 vol) Editions l'Harmattan.
Le volume 1 évoque les premiers écrits de la littérature
sacrée aux devinettes, en passant par les contes et légendes.
Le volume 2 présente la littérature du XXéme
siècle.
HAING NGOR |
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Acteur du film " La Déchirure ", assassiné
en Février 1995 à Los Angeles.
Auteur du livre " Une Odyssée Cambodgienne ",1987,
un des tout premiers témoignages sur la tragédie
khmère rouge.